Le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté le projet de loi de fin de gestion pour 2024 qui réduit de près de 6 milliards les dépenses de l’Etat sur l’exercice budgétaire en cours et débloque 4 milliards d’euros de crédits pour financer le soutien à la Nouvelle-Calédonie et l’Ukraine ainsi que le financement des primes JO et des élections législatives anticipées.
Budget 2025 : comment fonctionne la loi de finances spéciale ?
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Ce pourrait être la prochaine étape dans le chemin de croix budgétaire pour l’année 2025. En cas de censure du gouvernement Barnier, et d’une nouvelle période de transition, la suite du projet de loi de finances pourrait être fortement compromise. Il y aurait à tout le moins une menace sérieuse sur le calendrier budgétaire et la nécessaire promulgation du budget au 1er janvier. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui date de 2001, a prévu un outil pour parer ce type d’éventualité.
Le grand principe figure à l’article 47 de notre Constitution. Pour les détails de cette procédure, il faut se référer à une disposition de la loi organique de 2001, qui n’a jamais été appliquée depuis sa promulgation. Dans l’hypothèse du dépôt d’un nouveau projet de loi de finances, le nouveau gouvernement pourrait demander un vote séparé sur la première partie du projet de loi de finances – le volet recettes – avant le 11 décembre. Au-delà de cette date, il dépose un projet de loi spéciale, avant le 19 décembre.
Un texte pour « continuer à percevoir les impôts existants »
Ce texte vise à l’autoriser « à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année ». Après avoir obtenu du Parlement l’autorisation de continuer à percevoir les impôts, l’exécutif peut ensuite prendre des décrets « pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente ». Les montants des crédits ouverts « ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année ».
Cette disposition provient à l’origine d’un projet de loi adopté en catastrophe à la fin de l’année 1979, à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel de la loi de finances pour 1980. La loi d’urgence, autorisant le gouvernement à poursuivre la perception des impôts, faite d’un article unique, a été validée par les Sages, au nom de la « continuité de la vie nationale ».
Depuis que la disposition a été intégrée à la palette d’outils codifiés dans la LOLF, la jurisprudence est donc inexistante. « Ces dispositions restent très générales, et laissent de nombreuses zones d’ombre qu’il nous revient en urgence de clarifier […] Les précédents, à ce stade, ne sont aideront donc pas », se projetait ce 4 décembre, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson (LR). Et d’ajouter, en marge du débat sur le projet de loi de finances de fin de gestion : « Soyons honnêtes : personne ne sait exactement à l’heure actuelle ce que devrait ou ne devrait pas contenir ce projet de loi spéciale et nous sommes pourtant à moins d’un mois de la fin de l’année. »
Une loi spéciale difficilement amendable
Ces dernières heures, une controverse politique s’est ouverte entre les oppositions et les forces du bloc central sur le barème de l’impôt sur le revenu. Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, tout comme Jean-Philippe Tanguy, député RN membre de la commission des finances, ont affirmé qu’il était possible de réindexer sur l’inflation les tranches de l’impôt sur le revenu dans cette loi spéciale, censée reconduire les « impôts existants ». L’exemple de 1979 n’est toutefois plus transposable sur 2024 puisque la LOLF n’existait pas à l’époque.
Il est vrai que des amendements sur le barème de l’impôt sur le revenu avaient été déposés, et débattus, dans le cadre du projet de loi spéciale en décembre 1979. Rejetés, les amendements portés par la gauche à l’époque n’étaient pas une revalorisation sur l’inflation des tranches du barème, mais une restructuration. Les amendements consistaient à relever les seuils des tranches les plus basses (pour alléger l’impôt des plus bas revenus) et à abaisser les seuils des tranches les plus élevés. L’article 40 de la Constitution interdit en effet aux parlementaires de dégrader une recette fiscale sans compensation.
Seul le gouvernement pourrait théoriquement déposer un amendement allant dans le sens d’une indexation du barème, rappelle dans la Revue politique et parlementaire Jean-Pierre Camby. Mais le professeur associé à l’université de Versailles-Saint-Quentin rappelle que cette revalorisation « excède le champ de la loi spéciale prévue à l’article 45 de la LOLF ».
Il n’est pas le seul spécialiste de droit constitutionnel à considérer qu’il soit impossible de déposer un amendement sur une loi spéciale. « Réindexer le barème de l’impôt est une disposition fiscale permanente, ça n’a pas de lien avec l’autorisation de lever l’impôt que prévoit le projet de loi spécial, et qui vaut uniquement pour un an », explique à Public Sénat Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole.
Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, de 1997 à 2007, souligne en substance que le but d’une telle loi n’est pas d’être réécrite. « Est-ce que les députés peuvent amender la loi spéciale ? On pourrait bâtir une interprétation de l’article 45 de la LOLF, selon laquelle les amendements seraient considérés comme irrecevables. Sinon, on repart dans le débat budgétaire et le pandémonium de la créativité fiscale », explique cet ancien conseiller d’État. Une telle question devrait donc se régler dans le projet de loi de finances, la loi spéciale n’étant qu’un dispositif transitoire dans l’attente de la promulgation d’un budget en bonne et due forme.
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