A Aix-en-Provence, ce week-end, se tenaient les Rencontres économiques. Pendant trois jours, chefs d’entreprise, universitaires, représentants du gouvernement se sont réunis pour débattre des grands enjeux économiques. Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a été interrogé par LCI sur le budget 2024. Il réaffirme la politique du gouvernement, qui est de « baisser les impôts ». Cependant, « le ralentissement de la croissance, notamment en Europe » pourrait le conduire à réviser le rythme de baisse des impôts. Parmi les impôts visés se trouve la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), que le budget 2023 prévoyait de supprimer totalement en 2024. Bruno Le Maire donne rendez-vous en septembre pour connaître sa décision définitive. Une volte-face, et le message politique envoyé, critiqués par les sénateurs qui dénoncent la « contradiction » du gouvernement sur la question budgétaire.
Les baisses d’impôts : un mot d’ordre au gouvernement
En avril 2023, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, et Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, présentaient le cap budgétaire 2023-2027. C’est une vaste réorganisation de l’économie qu’a entrepris le gouvernement. Dans sa feuille de route, figure notamment une baisse des impôts. La suppression de la contribution à l’audiovisuel public ou de la taxe d’habitation sur les résidences principales témoignent de la volonté du gouvernement. Depuis 2017 et sa première élection, Emmanuel Macron attache une grande importance à la baisse des impôts. Amélie de Montchalin, alors députée LREM, se félicitait en 2019 d’une diminution de 6 milliards d’euros des impôts payés par les ménages.
« Ceux qui sont trop riches pour être aidés et pas assez riches pour bien vivre » : voilà le cœur de cible d’Emmanuel Macron pour les baisses d’impôt. Dans une interview accordée à l’Opinion mi-mai, le président de la République annonce une diminution des impôts pour un total de 2 milliards d’euros. Sont concernés ceux qui ont des revenus entre 1 500 et 2 500 euros par mois. Il s’est toutefois limité à un effet d’annonce, et a demandé à son gouvernement de « faire des propositions pour qu’ils se concentrent sur ces classes moyennes ». Pareil pour l’échéance de ces annonces, Emmanuel Macron explique que les baisses d’impôts pourraient avoir lieu « quand la trajectoire budgétaire le permettra dans ce quinquennat, dans cette mandature ». Et à en écouter les sénateurs, qui dressent un tableau très négatif du budget, le contexte ne sera pas favorable dans les années à venir.
Les dernières déclarations semblent donner une dynamique tout autre. Bruno Le Maire reste tout aussi convaincu à vouloir appliquer la politique du président, mais avec plus de retenue. Désormais, il conditionne la baisse des impôts, comme annoncée dans le budget 2023, à l’évolution de la croissance en France : « Nous verrons si ce ralentissement [de la croissance européenne] se traduit aussi par un ralentissement de la croissance en France ». Et à partir de cette étude, le ministre sera en capacité de statuer sur le rythme des baisses d’impôts. Actuellement, le gouvernement prévoit une progression du PIB de 1 %, contre 0,7 % pour la Banque de France et 0,6 % pour l’INSEE.
Des annonces qui peinent à convaincre
Jean-François Husson (LR), rapporteur de la commission des finances du Sénat, voit dans ces déclarations une nouvelle « contradiction », qui révèle « un programme d’action du gouvernement qui n’existe pas ». Le même week-end, la Première ministre a annoncé la mobilisation de 7 milliards d’euros supplémentaires en 2024, consacrés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le sénateur Vincent Delahaye (UC) explique que « baisser les impôts, c’est baisser les dépenses publiques », une dynamique qu’il ne retrouve pas dans la politique du gouvernement. Les baisses d’impôts sont de « la poudre de perlimpinpin » à l’heure actuelle. Elles vont entraîner à terme une explosion de la dette, ou de nouveaux impôts. Pour le moment, il ne constate pas dans les faits la « réelle volonté de l’Etat à redresser les dépenses publiques ».
Le socialiste Vincent Eblé partage ce constat de la politique « totalement contradictoire » de l’exécutif. Il explique que d’un côté, le gouvernement annonce des baisses d’impôts mais de l’autre, il porte des lois qui augmentent la dépense publique, telle que la loi de programmation militaire. Vincent Eblé appelle le gouvernement à lui « expliquer comment on parvient à l’équilibre ». Jean-François Husson parle de « déclarations en zigzagues », où chaque membre du gouvernement « se dit que la déclaration du jour va chasser les déclarations de la veille ». Les sénateurs ne comprennent pas cette volonté de maîtriser les dépenses publiques mais aussi de continuer à dépenser toujours plus. « Aujourd’hui, je ne vois pas de feuille de route du gouvernement », déclare le sénateur LR.
Des critiques qui dépassent l’aspect économique
Vincent Delahaye regrette que les déclarations de Bruno Le Maire « embrouillent les gens ». Pour Jean-François Husson, « les Français s’y perdent ». Vincent Eblé parle même d’un « jeu du mistigri avec l’opinion publique ». Par manque d’informations et de clarté dans les annonces, elle « se laisse parfois convaincre » sans s’apercevoir que les retombées seront négatives. Dans un climat social tendu et « d’émiettement social », « notre pays a besoin de se rassurer », pour Jean-François Husson. Mais selon lui, il « va être difficile de continuer d’expliquer les réductions d’impôts » alors que tous les voyants sont au rouge. Il voit « chaque semaine, pour ne pas dire chaque jour, de nouvelles annonces de dépenses publiques ».
Lors des discussions sur le budget 2024, qui devraient avoir lieu cet automne, le gouvernement devra convaincre les sénateurs. Vincent Eblé témoigne de « l’exigence » avec laquelle ils étudieront le dossier de l’exécutif. Jean-François Husson appelle à « ne pas faire l’autruche, et à commencer à faire des économies ». Les différents groupes politiques se disent prêts au débat, sur un sujet qui aurait dû être à l’étude depuis longtemps. « Il est grand temps de s’en préoccuper », regrette Vincent Delahaye. Actuellement, « on va dans le mur et ça fait un moment qu’on accélère ». Rendez-vous donc fin septembre pour être fixé sur les baisses d’impôts. Et cet automne pour l’étude du budget 2024 par les sénateurs.