La droite sénatoriale entend rouvrir la bataille de l’Aide médicale d’Etat (AME). Près d’un an après avoir voté, pendant les débats sur la loi immigration, la suppression de ce dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins – suppression finalement abandonnée sous la pression du gouvernement –, les élus remettent le métier sur l’ouvrage. Moins de deux semaines avant l’ouverture en séance publique des débats sur le prochain budget, la commission des finances du Sénat a adopté deux amendements du rapporteur LR Vincent Delahaye, qui viennent considérablement réduire la portée de l’AME, sans pour autant la supprimer.
Le premier amendement modifie le régime de prise en charge des frais relatifs à des prestations médicales non urgentes. Il prévoit de soumettre systématiquement leur remboursement à un accord préalable des caisses primaires d’assurance maladie. Cet accord existe déjà, mais aujourd’hui il ne concerne que les bénéficiaires dont l’admission à l’AME remonte à moins de neuf mois, sauf si un renoncement à ces soins représente un risque grave pour leur état de santé.
La modification proposée par le Sénat casse donc l’automaticité du système pour les soins non urgents ; elle étend l’examen des demandes de remboursement pour ce type de prestation à l’ensemble des bénéficiaires de l’AME, quelle que soit l’ancienneté de leur adhésion.
Une baisse de 200 millions d’euros
Le second amendement tire les conclusions du premier et anticipe la baisse du remboursement de certaines prestations. Il réduit de 200 millions d’euros le montant des crédits prévus pour l’AME en 2025, à 1,3 milliard d’euros dans la copie du gouvernement. Le budget initialement prévu par l’exécutif est en hausse de 9,2 % par rapport à 2024, du fait de l’augmentation régulière du nombre de bénéficiaires de l’AME d’une année à l’autre. Néanmoins, en marge des discussions budgétaires à l’Assemblée nationale, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin avait indiqué que le gouvernement avait l’intention d’annuler cette hausse par voie d’amendement. Sauf que le volet « dépenses » du budget n’a pas été débattu par les députés, qui ont rejeté en début de semaine la partie « recettes », ce qui a mis fin à l’examen du texte en première lecture à l’Assemblée.
En 2023, les bénéficiaires de l’AME étaient 456 689, soit 11 % de plus qu’en 2022. « Face au rythme soutenu d’augmentation des dépenses et à l’effet limité des contrôles et vérifications, il est légitime de s’interroger sur l’étendue des soins pris en charge », note Vincent Delahaye dans le rapport qu’il a présenté à la commission en vue de l’examen de la mission « Santé » du budget général de l’Etat.
Révision du panier de soins
Le sénateur interroge également « l’étendue des soins pris en charge » par le système français, plus importante que celle assurée par les pays européens qui disposent de mécanismes similaires à destination des étrangers en situation irrégulière. « Dans la plupart d’entre eux, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement. »
L’élu invite donc le gouvernement à réviser le panier de soins proposé par l’AME, et notamment à rallonger la liste des actes non urgents, définis à l’article R 251-3 du code de l’action sociale et des familles, ce qui aurait pour conséquences de réduire le nombre de prestations automatiquement remboursées.
Le cheval de bataille de la droite sénatoriale
Les modifications qu’il propose s’appuient pour partie sur les conclusions du rapport Evin-Stefanini, commandé fin 2023 par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, en pleine bataille sur la loi immigration. À l’époque, la droite sénatoriale souhaitait remplacer le dispositif par une simple Aide médicale d’urgence, contre l’avis de la gauche et du gouvernement. Une option également rejetée par Patrick Stefanini et Claude Evin, dont les conclusions font valoir « l’utilité » du dispositif actuel tout en préconisant certains aménagements pour maintenir la soutenabilité du mécanisme, notamment en limitant fortement le nombre d’ayant droit par assuré. Actuellement, un bénéficiaire de l’AME peut aussi en faire profiter les personnes à sa charge, s’il est en couple ou à des enfants.
Lors des négociations en commission mixte paritaire, la droite avait accepté de renoncer à traiter la question de l’AME dans la loi immigration, ayant obtenu d’Élisabeth Borne la garantie qu’elle engagerait « les évolutions nécessaires » par voie réglementaire ou législative. Un scénario finalement contrarié par le départ de la Première ministre, le 9 janvier dernier.
Cette fois, les amendements retenus par la commission des finances, et qui seront automatiquement représentés durant la discussion dans l’hémicycle, ont de grandes chances d’être adoptés et conservés dans la version finale du texte. Si le gouvernement déclenche un 49.3 pour faire passer le budget, le Premier ministre pourrait satisfaire aux attentes de sa famille politique, désormais alliée à l’ancienne majorité. D’ailleurs, Michel Barnier avait lui-même déclaré fin septembre n’avoir « ni tabou, ni totem » sur l’AME.