Encore une année faste pour les sociétés d’autoroutes. Passée relativement inaperçue, la publication des résultats annuels des principales sociétés concessionnaires d’autoroutes enregistre une forte progression en 2023, entre +1,5 et +7,1 % pour ASF, Cofiroute, APRR et SANEF. Pour un chiffre d’affaires cumulé à 39,3 milliards d’euros, le total des bénéfices engrangés sur l’année dépasse les 4 milliards d’euros. Dans le détail : 1,7 milliard pour ASF, 0,6 milliard pour Cofiroute, 1,1 milliard pour APRR et 0,7 milliard pour Sanef.
Deux phénomènes expliquent cette bonne santé financière : une augmentation du trafic routier mais aussi la hausse du prix des péages de 4,75 % en 2023, sur fond d’inflation. Au 1er février dernier, les tarifs ont encore progressé d’environ 3 % sur les principaux réseaux autoroutiers. Cette situation vient relancer le sempiternel débat sur la surrentabilité des sociétés concessionnaires.
Jusqu’à 38 milliards de « surprofits »
Si l’Etat reste le propriétaire du réseau autoroutier, depuis une vingtaine d’années la gestion en a été confiée à plusieurs sociétés privées. Or, les contrats de concession négociés par le gouvernement de l’époque sont régulièrement pointés du doigt au vu des sommes qu’ils rapportent aux contractants.
« L’objectif de 8 % de rentabilité actionnaire, fixé au moment du rachat, sera atteint quels que soient les résultats futurs. Pour Vinci (ASF), ce chiffre a été atteint fin 2023, il le sera en 2024 pour le groupe Eiffage (APRR) », explique à Public Sénat le sénateur centriste Vincent Delahaye, membre de la commission des finances. Or les principales concessions n’arriveront à terme qu’entre 2031 et 2036. « Les ‘ surprofits’ que devraient réaliser les sociétés d’autoroutes d’ici la fin des contrats s’élèveraient à 32 milliards dont 20 milliards pour Vinci et 12 milliards pour Eiffage. Et même 38 milliards en incluant Cofiroute », a calculé l’élu dans un communiqué diffusé ce mercredi 10 avril.
« À l’heure où l’on cherche des économies, c’est un endroit où le gouvernement ferait bien d’aller piocher »
En 2020, le sénateur Vincent Delahaye avait été le rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale consacrée aux concessions autoroutières. Dans ses conclusions, il appelait le gouvernement à rouvrir les discussions sur l’équilibre économique et financier des contrats, sans attendre leur terme. Un exercice juridique périlleux, qui pourrait se retourner contre l’Etat, et dont les sociétés ne veulent pas entendre parler.
« À partir du moment où les contrats ont atteint la rentabilité fixée au départ, on peut légitimement discuter de leur pérennité », nous explique l’élu. « Il y a toujours un risque juridique, mais je pense que le risque le plus important est celui qui consiste à ne rien faire et à laisser cette situation courir au détriment de l’intérêt général », soupire Vincent Delahaye. « À l’heure où l’on cherche des économies, c’est un endroit où le gouvernement ferait bien d’aller piocher ».
L’ex-ministre des Transport, Clément Beaune, s’était engagé à organiser une table ronde entre les différents acteurs, mais celle-ci n’a jamais vu le jour. Reste à savoir si son successeur, Patrice Vergriete, reprendra cet engagement. « L’Etat doit rester le patron. Si nous rompons les contrats, les sociétés seront bien obligées de venir s’asseoir autour d’une table et d’ouvrir la discussion », conclut Vincent Delahaye.