Au Sénat, audition tendue de Sanofi qui juge que les aides publiques « sont extrêmement utiles pour la compétitivité »

Plusieurs directeurs du laboratoire Sanofi ont été auditionnés au Sénat sur le sujet des aides publiques. Le géant pharmaceutique a estimé que les aides à la recherche étaient un moyen de garantir un coût des chercheurs français équivalent aux autres pays, notamment européens.
Guillaume Jacquot

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C’était l’une des auditions très attendues de la commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation des aides publiques dans les plus grandes entreprises. Le géant pharmaceutique Sanofi a été questionné par les parlementaires de la chambre haute ce 26 mars, dans une ambiance parfois lourde, au sujet de l’argent public dont il a bénéficié au fil du temps. Il faut dire que le premier laboratoire français, et sixième groupe mondial du secteur, a défrayé la chronique sur la mise en œuvre de quatre plans sociaux sur le sol français en l’espace de dix ans, en particulier dans ses équipes de recherche et de développement (R & D). Le dernier en date a été annoncé il y a moins d’un an, et représente 330 suppressions de postes, la plupart sur le site de recherche de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Le groupe, en plein virage stratégique depuis 2020 pour se concentrer sur le développement de médicaments et de traitements innovants, notamment dans l’immunologie, a dû s’expliquer sur cette transformation, et ses conséquences en termes d’emploi. Car Sanofi, qui réalise 1,9 milliard de chiffre d’affaires en France, reçoit chaque année un peu plus de 100 millions d’euros en moyenne en crédit impôt recherche (CIR). Ce qui représente « moins de 5 % de ses dépenses en R & D sur l’année », a mis en perspective Charles Wolf, directeur France et directeur général vaccins France.

« On peut se demander à quoi a servi l’argent du crédit impôt recherche », s’interroge Fabien Gay

« Vous êtes un des champions du crédit impôt recherche et dans le même temps, les effectifs ont fondu de 3 500 emplois dans la R & D […] On peut se demander à quoi a servi l’argent du CIR », a pointé le rapporteur (communiste) de la commission d’enquête, Fabien Gay. Les dirigeants de Sanofi ont contesté le chiffre communiqué par le sénateur, en évoquant de leur côté 1 000 réductions de postes en cumulé depuis 2014.

« Contestant le mot de licenciement », Charles Wolf a rappelé que son entreprise devait « se transformer » pour assurer son avenir. Le directeur de la branche France du groupe a assuré que l’entreprise ne fermait pas de sites et que le crédit impôt recherche avait servi à lancer des sites clés pour les prochaines années, comme celui de Marcy-l’Étoile, dans la métropole lyonnaise, spécialisé dans l’ARN messager.

La multinationale a tenu également à rappeler que la tendance à la réduction des effectifs en R & D était mondiale et que ce mouvement ne s’était pas fait au détriment de l’Hexagone. « La France représente un tiers des effectifs mondiaux des équipes de recherche et de développement. Ce pourcentage est resté absolument stable sur les dernières années », a ainsi souligné Jacques Volckmann, vice-président recherche et développement France.

« La stabilité et la pérennité de ces aides sont fondamentales pour l’attractivité de la France », insiste le patron de Sanofi

Pour l’implantation de chaque projet de recherche ou de production, Sanofi a indiqué regarder une série d’éléments. Les choix sont à la fois guidés par le vivier en ressources humaines et les compétences, l’environnement administratif, les conditions de marché en termes de délais ou de niveaux de prix, mais aussi les dispositifs d’aides publiques. « C’est pour cette raison que la stabilité et la pérennité de ces aides, y compris pour des grandes entreprises comme Sanofi, sont fondamentales pour l’attractivité de la France », a relayé le directeur Charles Wolf. Le dirigeant a expliqué qu’il ne fallait pas traiter la question des aides publiques de façon isolée, sans prendre en compte le cadre fiscal d’un État. En l’occurrence en France, les prélèvements obligatoires sont très élevés, a-t-il rappelé. « Donc l’existence d’aides, ce n’est pas vraiment un cadeau, c’est une sorte de rééquilibrage ». Et d’ajouter : « Ces aides sont extrêmement utiles pour la compétitivité, sans ces aides le chercheur français serait le deuxième le plus cher au monde derrière les États-Unis ».

Outre 17,7 millions d’euros de crédits au titre du mécénat et de crédits d’impôt famille, 7,4 millions d’euros d’allègements et d’exonérations sociales, l’entreprise a par ailleurs bénéficié de 12,2 millions au titre de l’embauche de ses apprentis. Ces derniers sont 1 800 au total. Sans ce soutien des pouvoirs publics, le président de la commission, Olivier Rietmann (LR) a demandé si Sanofi aurait accepté autant d’étudiants en voie de professionnalisation. « Je pense qu’on aurait moins, je vais être tout à fait clair avec vous », lui a assuré le directeur France.

« N’essayez pas à ce point de noyer le poisson ! » : le président obligé de recadrer le cadre de l’audition

L’exposé parfois touffu de certains membres du comité de direction a parfois mis à rude épreuve la patience des sénateurs. « À un moment, je n’en peux plus ! Vous êtes venus pour nous expliquer tout, sauf le sujet de la commission d’enquête […] N’essayez pas à ce point de noyer le poisson », a craqué le président Rietmann, au bout d’une heure d’audition et d’une digression sur les derniers résultats de Sanofi en termes de phases expérimentales. « Vos conseillers sont allés voir comment se sont passées les précédentes auditions, ou alors il y a un problème. Vous avez bien vu qu’on n’est absolument pas là pour se faire endormir ! »

« Vous allez rejoindre Google », a ajouté Fabien Gay, en référence à une audition où deux dirigeants avaient été incapables par exemple de fournir leur montant des exonérations sociales. « On s’est peut-être un peu emballés par la passion de la science », s’est excusé le patron de Sanofi, après avoir été invité à des réponses plus directes. Agnès Perré, la directrice financière, a indiqué que le groupe n’était venu qu’avec les chiffres des subventions pour l’année 2023.

« Pour ma part, je suis révolté », lâche le rapporteur au sujet des dividendes

Comme lors des précédentes auditions, le sénateur communiste de Seine-Saint-Denis a posé la question de la légitimité de dividendes croissants, dans un contexte de suppressions de postes. Pour Sanofi, les dividendes ont augmenté chaque année depuis 30 ans. « On a une entreprise qui est aidée massivement par les aides publiques, qui rémunère ses actionnaires plus que significativement […] qui va licencier 330 chercheurs. Pour ma part, je suis révolté », s’est-il exclamé.

Charles Wolf a estimé qu’il fallait éviter les « raccourcis un peu dangereux » sur le terrain des dividendes et que le taux de redistribution aux actionnaires était dans la moyenne de ce qui se pratique dans le secteur pharmaceutique. Sur une capitalisation actuelle de 125 milliards d’euros, la société reverse 4 milliards d’euros. « C’est le loyer de l’argent. SI on se met en dessous, on est moins attractif », a prévenu le directeur France.

Il y avait aussi peu de chances pour les dirigeants du laboratoire échappent à une question sur la question de la récente cession à un fonds américain de la branche médicaments grand public du groupe, Opella, celle qui produit le célèbre Doliprane. « Je suis assez surprise que des aides ne permettent pas de garder une production française. Cela m’interroge », est intervenue la sénatrice Union centriste Anne-Sophie Romagny.

« Les engagements de maintien des volumes [de production] et d’emplois sont quelque part parmi les contreparties de ces aides », a répondu Charles Wolf, précisant que Sanofi ne « délocalise pas ». « On est le principal contributeur à la production industrielle en santé en France. »

Autre passage obligé pour toute entreprise passant sur le gril de cette commission d’enquête : est-elle favorable à ce que l’administration rende public le montant des aides qui lui sont versées ? « Nous sommes pour la transparence avec les organismes d’Etat, avec le gouvernement », a répondu le directeur. Avec un bémol toutefois. « Faisons attention à l’utilisation que pourraient en faire d’autres pays qui ne jouent pas le jeu de la transparence. Il y a des pays qui pourraient aller plus loin dans le dumping, et qui pourraient mettre en danger la compétitivité. »

Ces inquiétudes ont été conclues par le scepticisme du président de la commission d’enquête, par ailleurs président de la délégation sénatoriale aux entreprises. « Je ne peux pas accepter ça, monsieur le directeur », a assené Olivier Rietmann, convaincu que les entreprises engagent des discussions avec les principaux pays avant d’implanter un projet.

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