La mission du Sénat sur l’avenir d’Atos, menée conjointement par la commission des affaires économiques et celle des affaires étrangères et de la défense, rend ses conclusions après avoir entendu 84 personnes. Le groupe, transpartisan, formule une dizaine de propositions pour sauvegarder une entreprise clé dans notre souveraineté, mais aussi « éviter de graves erreurs stratégiques ».
Alors que ce groupe, incontournable dans plusieurs activités critiques de la défense, de l’administration ou de l’énergie, est en grande difficulté économique et financière depuis quelques années, les sénateurs regrettent « l’intervention tardive et insuffisante » du gouvernement dans ce dossier. « Une très grande majorité des parties prenantes aurait souhaité une action proactive, facilitatrice et stabilisatrice de l’État dès le second semestre 2022 », relèvent les quatre rapporteurs, Sophie Primas (LR), Fabien Gay (PCF), Thierry Meignen (LR) et Jérôme Darras (PS).
Lesté d’une dette de près de 5 milliards d’euros, soit huit fois plus qu’en 2008, le groupe a pâti selon eux d’une stratégie financière « incertaine et inadaptée ». Même si la période 2008-2019 a été marquée par une forte expansion, les choix stratégiques de l’ère Thierry Breton sont désormais « sérieusement questionnés », selon les sénateurs.
Alors, comment éviter le naufrage ? Les parlementaires estiment en premier lieu qu’il faut maintenir le périmètre actuel du groupe. Le maintien de la cohésion d’Atos permettrait, selon eux, d’assurer une répartition « équitable et soutenable » de sa dette, mais aussi de protéger ses activités souveraines. L’erreur serait d’aboutir à la naissance d’une structure « orpheline et résiduelle », qui porterait à elle seule le poids de la dette. Pour les sénateurs, il est impératif que les activités, « cédées comme restantes », soient suffisamment « valorisées et pérennes ».
Dans le prolongement de leurs premières communications, les sénateurs réitèrent leur appel à une entrée durable de l’État au capital de l’entreprise. Le rapport préconise deux prises de participation, en particulier une prise de participation « minoritaire et durable » de l’Agence des participations de l’État au capital d’Atos SE, la maison mère du groupe. Cette opération permettrait à l’État de d’assurer une place au sein du conseil d’administration.
Des garanties demandées pour l’avenir de la division big data et sécurité, et Worldgrid
Deuxième niveau d’intervention : les sénateurs appellent à une prise de participation « majoritaire et durable » par l’intermédiaire de BpiFrance dans la division BDS (Big data & security) d’Atos, celle qui regroupe les ressources de calcul de haute performance (HPC) et de cybersécurité. Elle intervient dans les programmes de simulation de la dissuasion nucléaire français, mais aussi dans les systèmes d’information du programme militaire Scorpion ou encore les systèmes de contrôle du Rafale. Cette acquisition doit permettre « d’assurer le financement et la supervision resserrée d’activités technologiques souveraines qui doivent dans tous les cas demeurer dans le giron national », insistent les parlementaires.
La mission prend d’ailleurs « acte » de l’intention de l’État d’acquérir les activités souveraines d’Atos nichées dans la branche BDS. Mais elle estime que cette proposition « ne règlera pas la question de l’avenir du groupe », c’est-à-dire des autres activités et en particulier celles de Tech Foundations. Cette division, déficitaire, regroupe les activités historiques de conseil en informatique d’Atos. Forte de 52 000 salariés, elle génère plus de la moitié du chiffre d’affaires Atos. D’où l’appel sénatorial à une entrée au capital de l’État dans Atos SE.
BDS n’est pas le seul point de préoccupation. Moins médiatisé, le cas de la filiale Worldgrid n’en est pas moins important. Spécialisée dans la gestion intelligente de l’énergie, elle est partie prenante des compteurs Linky. À l’heure de la relance du nucléaire, cette famille d’activités d’Atos est capitale puisque le groupe intervient dans le développement de systèmes de commande-contrôle des centrales, notamment les EPR de deuxième génération.
Jusqu’à présent, aucun projet de cession n’a abouti, que ce soit la reprise de BDS par Airbus, ou encore le rachat de Tech Foundations par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Les discussions avec ce deuxième potentiel repreneur ont conduit la direction d’Atos « à éconduire d’autres offres pendant près d’un an et demi », regrettent les sénateurs.
Appel à un maintien de l’emploi
Convaincus que la principale force et « valeur ajoutée » d’Atos reste ses ressources humaines et le « savoir-faire unique » de ses collaborateurs, la mission d’information appelle à trouver des garanties de préservation de l’emploi, tout comme de l’outil industriel. Celles-ci devraient prendre la forme d’obligations pluriannuelles selon eux.
Pour protéger le maintien de ces différents atouts, les quatre rapporteurs appellent à privilégier des repreneurs industriels français, « seuls ou en consortium, éventuellement accompagnés par les pouvoirs publics ». C’est également cette ligne qu’a défendu le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, dimanche soir. Cette préférence envers des repreneurs français aurait également le mérite de consolider la compétitivité. Les rapporteurs sénatoriaux soulignent par exemple que les investissements de recherche et développement pourraient être mutualisés, sans parler des éventuelles synergies technologiques entre deux groupes.
Les sénateurs ne veulent pas oublier Tech Foundations, la branche d’infogérance
Si la majorité des préoccupations sénatoriales se concentrent sur les activités souveraines de BDS, le rapport soulève également des inquiétudes relatives au sort de Tech Foundations. Cette branche comprend elle aussi des activités jugées « stratégiques ». Pour rappel, Atos et sa division Tech Foundations jouent un rôle clé dans le Centre des Opérations Technologiques des Jeux olympiques. Le rapport rappelle aussi que cette division est rattachée à des contrats « sensibles pour nos données ». Le groupe Atos est engagé dans la dématérialisation de plusieurs services publics. On lui doit le développement de « Mon espace santé » pour le compte de l’Assurance maladie, la régulation des systèmes de vidéosurveillance du Grand Paris Express, le portail informatique des douanes, ou encore la conception de logiciels pour les services de secours et d’urgence.
Les sénateurs appellent à renforcer les moyens dédiés au contrôle des investissements étrangers
En cas de cession de Tech Foundations à des investisseurs étrangers, le Sénat demande un « contrôle ferme et vigilant » au titre des investissements étrangers en France. Les membres de la mission estiment que cette surveillance mériterait d’être révisée dans sa méthodologie et que les conséquences d’un rachat par un investisseur étranger devraient être mesurées à l’échelle de l’ensemble du groupe. La date limite pour déposer une offre de reprise a été fixée à vendredi.