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Arrêt maladie : trois jours de carence pour les fonctionnaires, une mesure déjà adoptée par le Sénat

L’exécutif entend rapprocher un peu plus la fonction publique du secteur privé en réduisant le paiement des arrêts maladie et en ajoutant deux jours de carence aux fonctionnaires. Les gouvernements précédents s’étaient toujours opposés à cet allongement, défendu de longue date par la majorité sénatoriale. En revanche, l’économie de 1,2 milliard annoncée par le ministre Guillaume Kasbarian avec cette réforme laisse les élus sceptiques.
Romain David

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Sur les 60 milliards d’euros d’économies attendus sur le prochain budget, le gouvernent avait fait savoir début octobre que cinq milliards seraient présentés par voie d’amendements au fil de la discussion parlementaire. De quoi réserver quelques surprises aux oppositions. Dimanche soir, l’exécutif a levé une part du voile sur son plan d’économie. Dans un entretien au Figaro, Guillaume Kasbarian, le ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique annonce vouloir faire « passer le nombre de jours de carence des fonctionnaires d’un à trois, comme dans le privé ». Mais aussi réduire de 100 à 90 % le remboursement des arrêts pour les trois premiers mois d’un congé maladie ordinaire.

Au total, l’exécutif espère récupérer 1,2 milliard d’euros avec ces deux mesures. « Je sais que le plan que je dévoile fera débat, mais je me dois de dire la vérité et d’agir », explique le ministre qui promet, en contrepartie, des mesures « sur l’amélioration de la qualité de vie au travail, la débureaucratisation et la protection des agents face aux actes de violences. » Il précise par ailleurs que la réforme ne concernera pas « les accidents de service, les invalidités, les maladies graves, affections longue durée ou arrêts liés à la grossesse ».

Une réforme sénatoriale

Ces deux mesures seront portées par amendements au projet de loi de finance (PLF), mais le minutage de l’annonce a de quoi surprendre. Samedi soir, les députés ont échoué à aller jusqu’au bout de l’examen de la partie « recettes » du budget. Place, désormais, aux débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. La discussion publique sur le budget général ne reprendra pas avant le 5 novembre à l’Assemblée nationale, avant un vote solennel théoriquement prévu le 19 novembre.

En parallèle, la commission des finances du Sénat poursuit ses travaux sur le PLF, avec l’examen des rapports spéciaux pour chacune des missions budgétaires de l’Etat. Indirectement, l’annonce de Guillaume Kasbarian adresse un signal à la Chambre haute où le gouvernement dispose, a priori, d’une majorité claire grâce au soutien des LR.

Pour mémoire : le Sénat a déjà adopté, à plusieurs reprises ces dernières années, un allongement de deux jours du délai de carence des fonctionnaires. À chaque fois contre l’avis du gouvernement ; systématiquement, la mesure a été expurgée de la version finale du budget après le déclenchement du 49.3, utilisé pour faire adopter tous les textes budgétaires depuis 2022. Quand bien même un nouvel engagement de la responsabilité gouvernementale fait peu de mystère pour faire adopter ce PLF, au vu de la fragmentation politique à l’Assemblée nationale, l’exécutif pourra toujours faire valoir que cette mesure aura au moins été votée dans l’une des deux chambres du Parlement.

« C’est une bonne nouvelle de voir que le gouvernement est prêt à bouger sur ça », salue le sénateur centriste de Haute-Savoie Loïc Hervé, qui a longtemps travaillé sur la transformation de la fonction publique. « Nous avons toujours considéré cet écart entre le public et le privé comme une différence de traitement injustifiée », explique-t-il. « Il y a sans doute le changement de Premier ministre qui a joué dans ce basculement. Jusqu’à présent, c’était un positionnement politique peut-être un peu trop compliqué à assumer pour un gouvernement, mais aujourd’hui, la réalité budgétaire s’impose à tous », observe Corinne Imbert, sénatrice apparentée LR de la Charente maritime et rapporteure de la branche Maladie du budget de la Sécurité sociale.

« Il est difficile de comparer les délais de carence du privé et du public »

Mais à gauche de l’échiquier politique, la mesure soulève de nombreuses critiques. « S’attaquer aux droits sociaux est une constante dans les politiques libérales », déplore un communiqué du groupe communiste du Sénat. « On nous ressort une vieille lune de la majorité sénatoriale, désormais majorité gouvernementale, n’en déplaise à certains, qui utilise la facilité du discours anti-fonctionnaires pour justifier une mesure strictement budgétaire », soupire la sénatrice socialiste de Paris Colombe Brossel.

Manuel Bompard, le coordinateur de la France insoumise, a également dénoncé sur France Inter une « manière scandaleuse d’essayer de faire des économies en pointant du doigt les fonctionnaires ». Le député des Bouches-du-Rhône a notamment rappelé que dans le privé, trois quarts des employeurs compensent la période de carence grâce aux complémentaires santé.

Ironiquement, c’est l’argument qui avait été invoqué en 2023, lors de la discussion budgétaire, par Thomas Cazenave, l’ancien ministre des Comptes Publics, pour recaler la mesure : « Il est difficile de comparer les délais de carence du privé et du public. Dans le privé, un certain nombre de salariés voit leurs jours de carence couverts par leurs complémentaires. Ceux qui ont un vrai jour de carence, ce sont les fonctionnaires du public pour lesquels, ce jour-là s’applique strictement », avait-il pointé devant les sénateurs.

« Chacun est libre. Les employeurs territoriaux ont la possibilité, s’ils le souhaitent, de mettre aussi en place des mesures de compensation », balaye Loïc Hervé. Rappelons néanmoins qu’il est aussi demandé aux collectivités territoriales de réaliser un effort budgétaire de 5 milliards d’euros l’année prochaine.

« Je vois mal comment faire un milliard là-dessus »

Le sénateur LR de Corrèze Claude Nougein, qui a porté en 2023 l’amendement sur l’allongement à trois jours du délai de carence dans la fonction publique, avait chiffré les gains ainsi réalisés à 220 millions d’euros. Le gouvernement, de son côté, table sur 1,2 milliard d’économies grâce à la baisse de 10 % du niveau de remboursement des arrêts maladie.

Un chiffre qui paraît « énorme… » à la rapporteur Corinne Imbert. « Je vois mal comment faire un milliard là-dessus », relève-t-elle « J’ai plusieurs collègues, membre de la commission des Finances, qui ont également tiqué sur ce montant », abonde la socialiste Colombe Brossel. « La vérité c’est que, sans étude d’impact, le gouvernement fait ses calculs à la petite semaine ».

Une « urgence » budgétaire pour le gouvernement

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs se sont alarmés, à la fois de la hausse des arrêts maladie et de la progression de l’absentéisme dans la fonction publique. Selon les chiffres de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (CNAM), les dépenses d’indemnités journalières versées pour compenser la perte de salaire en cas d’arrêt ont progressé de 10,4 à 15,8 milliards d’euros entre 2015 et 2023, hors pandémie de covid-19. Par ailleurs, la CNAM chiffre à 7,7 millions d’euros le montant des arrêts frauduleux l’année dernière, généralement obtenus en ligne ou par usurpation d’identité, contre 5 millions d’euros en 2022.

« L’écart s’est creusé entre la fonction publique et le secteur privé, puisque, aujourd’hui, les fonctionnaires sont absents en moyenne 14,5 jours par an contre 11,6 jours pour les salariés du privé », épingle Guillaume Kasbarian, toujours dans les colonnes du Figaro. Ce responsable gouvernemental parle même d’une « urgence » budgétaire. Le phénomène est plus marqué dans la fonction publique territoriale : 1 7,1 jours d’absence en moyenne en 2022 (et 18,1 jours dans la fonction publique hospitalière), selon les données du dernier rapport sur l’état de la fonction publique.

« Nous avons un vrai sujet sur la qualité de vie au travail dans la fonction publique »

« On a tendance à faire comme si la fonction publique territoriale ne formait qu’une seule et même entité, mais en fait vous avez une multitude d’employeurs territoriaux, avec des conditions de travail et des enjeux très différents selon qu’il s’agisse d’une commune rurale ou du conseil régional des Hauts-de-France. Certaines collectivités ont mis en place des outils d’incitation, par exemple en subordonnant les primes au taux de présence », observe le centriste Loïc Hervé. « Et puis, comme partout, vous pouvez avoir des sujets autour de la santé au travail ou du harcèlement. »

Selon une étude de l’Insee publiée en juillet dernier, l’instauration en 2018 d’un premier jour de carence dans la fonction publique a permis de réduire de 25 % la fréquence des arrêts maladie dans l’Education nationale. Mais cette diminution s’observe principalement sur les arrêts maladie dits de « courte durée », c’est-à-dire de moins de sept jours, elle n’est « pas significative » sur ceux de plus de trois mois. « Les données disponibles ne permettent pas de conclure à une baisse des éventuels recours abusifs aux arrêts », note encore l’institut.

« Aujourd’hui, nous avons un vrai sujet sur la qualité de vie au travail dans la fonction publique », estime Colombe Brossel. « Il est essentiel de laisser de côté les réponses simplistes et de s’y attaquer si l’on veut relancer l’attractivité des métiers de l’enseignement, de la santé, de la police… »

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