Le gouvernement planche tous azimuts pour trouver des leviers d’économies face à un déficit public bien plus important que prévu. En 2023, le solde négatif du budget de l’Etat s’est élevé à 5,5 % du PIB, loin des 4,9 % qui figuraient dans les prévisions du ministère de l’Economie. Si rien n’est fait, le déficit pourrait friser les 6 % en 2025, selon un calcul du rapporteur général de la commission des finances du Sénat. Réforme de l’assurance-chômage, ponction du régime de l’Agirc-Arcco… depuis plusieurs jours, les pistes de réflexion se succèdent du côté de l’exécutif, qui refuse toujours de toucher aux impôts. Dans le viseur de Bercy, notamment : la branche Maladie de l’Assurance maladie. Selon une information de La Tribune dimanche, le gouvernement examine désormais la possibilité de réduire la prise en charge des arrêts de travail en augmentant le délai de carence dans le secteur privé.
En cas d’arrêt maladie, l’Assurance maladie verse des indemnités journalières (IJ) pour compenser la perte de salaire. Actuellement, celles-ci ne sont versées qu’à partir du quatrième jour d’arrêt, c’est ce que l’on appelle le délai de carence. Certaines entreprises compensent tout ou partie de ce délai. D’après La Tribune dimanche, l’idée serait de repousser le versement des indemnités au cinquième jour, voire plus. L’hebdomadaire évoque une économie d’un milliard « selon les scénarios », dont certains montent jusqu’à sept jours de carence.
Un effet « délétère pour les TPE et les PME »
Le sujet est d’autant plus explosif que la mesure reviendrait à faire reposer les économies ainsi réalisées sur les entreprises, qui souscrivent des contrats de prévoyance pour assurer la couverture de leurs salariés au-delà de ce que prévoit le régime général. De quoi braquer le patronat : « Si on allonge les jours de carence, évidemment les cotisations à la prévoyance augmenteront pour les entreprises et ça peut faire des factures très lourdes », avertit Éric Chevée, le vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) sur franceinfo. « On parle là de dépasser le milliard ».
Une autre piste évoquée est celle d’un jour de carence non compensé, qualifié de « carence d’ordre public », ce qui épargnerait l’employeur mais pénaliserait le salarié. Le dispositif viendrait s’inspirer de ce qui existe déjà pour le public : les fonctionnaires ne disposent que d’un seul jour de carence mais à la différence du privé, celui-ci n’est jamais indemnisé.
« Ce gouvernement ne cesse de nous répéter qu’il ne touchera pas aux impôts, mais je constate qu’on évoque des mesures qui auront un certain impact sur un nombre important d’acteurs économiques », relève auprès de Public Sénat la sénatrice apparentée LR Corinne Imbert, rapporteur de la branche Maladie du budget de la Sécurité sociale. « Tout cela va coûter plus cher aux entreprises, et risque d’être délétère pour les TPE et les PME », souligne l’élue qui parle d’une « fausse bonne idée ».
En 2011 déjà, le gouvernement Fillon avait caressé l’idée d’un quatrième jour de carence pour le privé, avant de reculer devant la grogne des parlementaires de la majorité UMP.
« La France est le pays d’Europe qui dépense le plus de PIB dans la santé »
« Vu l’état dans lequel se trouvent les finances du pays, avec un système de santé à 13 milliards de déficit, j’ai pris pour doctrine d’être favorable à tout ce qui peut concourir à rééquilibrer nos comptes », réagit auprès de Public Sénat le sénateur centriste Olivier Henno, co-rapporteur du budget de la Sécurité sociale et vice-président de la commission des affaires sociales. « Mais à une condition, ajoute-t-il, que l’effort soit partagé par les plus riches. Le redressement doit peser sur tout le monde, les salariés comme les entreprises », insiste l’élu. « Le problème de la compensation est une affaire qui concerne l’entreprise, c’est une question de dialogue social ».
« On ne peut pas parler d’une mesure dogmatique, quand on sait que la France est le pays d’Europe qui dépense le plus de PIB dans la santé », poursuit Olivier Henno. « Il faut remettre les choses à plat, regarder les secteurs où les arrêts maladie sont excessifs, et peut-être effectuer un travail de couture. »
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Freiner la hausse des indemnités journalières
Lors des discussions budgétaires de l’automne, le gouvernement s’était déjà penché sur la question des arrêts maladies, cherchant à limiter les abus, en prévenant les arrêts de complaisance, qui peuvent coûter cher aux employeurs. L’une des mesures du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (2024) prévoyait la suspension automatique des indemnités journalières, lorsqu’un médecin diligenté par l’entreprise estimait que l’arrêt maladie n’était pas justifié. Mais ce dispositif a été retoqué par le Conseil constitutionnel. En revanche, la prescription des arrêts maladie par téléconsultation a été limitée à 3 jours si le prescripteur n’est pas le médecin traitant.
Les indemnités journalières ont coûté 16,3 milliards en 2022, selon les données de l’Assurance maladie. Un chiffre qui inclut également les accidents du travail et les maladies professionnelles (3,8 milliards), ainsi que les congés maternité (2,7 milliards). L’ensemble des montants indemnisés enregistre une croissance moyenne annuelle d’un peu moins de 4 %, avec parfois des écarts très marqués d’une année à l’autre : +8,2 % entre 2021 et 2022.
« Une hausse qui n’est pas soutenable », avait commenté en août dernier l’ex-ministre de la Santé, Aurélien Rousseau. À l’époque, toutefois, la piste d’un allongement du délai de carence ne semblait pas retenir l’attention du gouvernement. « Je ne crois pas que la solution soit dans le moins bon remboursement. C’est notre job de regarder les différentes options », avait expliqué l’éphémère locataire de l’avenue Duquesne. Mais sept mois plus tard, l’urgence budgétaire semble rebattre les cartes.
« Le concours Lépine des mesures d’économies »
« On part dans tous les sens, ce gouvernement n’a plus aucun corpus idéologique », s’agace la sénatrice socialiste Marion Canalès, membre de la commission des Affaires sociales. « Après avoir rétropédalé sur les dépenses relatives aux affections longue durée, ils sortent ça de nulle part. À ma connaissance, aucun rapport parlementaire, aucune proposition de loi n’explore cette piste. On voit qu’il y a des ballons d’essais envoyés depuis plusieurs mois sur la déconstruction de notre modèle social », s’agace-t-elle.
« On ne va pas égrener chaque jour le concours Lépine des mesures d’économies », a également réagi le député Renaissance Clément Beaune, dimanche sur franceinfo. « Le délai de carence est un paramètre qui a souvent été allongé et puis réduit, je pense que c’est quelque chose sur lequel il ne faut pas revenir », a estimé l’ancien ministre des Transports, identifié comme l’un des tenants de l’aile gauche de la majorité. La sénatrice Marion Canalès dénonce également le faible impact de la mesure : « 1 milliard pour 1 000 milliards de dette publique… Le problème, c’est qu’à force d’aligner les mesurettes, on fait un grand tout de casse sociale ».
Pour Corinne Imbert, « il n’y a pas de petites économies et les arrêts maladies ne doivent pas être un sujet tabou ». « Mais il faut aussi rester dans la mesure des choses. Tous les salariés ne sont pas des fraudeurs. Le vrai sujet se situe peut-être ailleurs, car lorsqu’un salarié se sent bien dans son entreprise, le jour où il est en arrêt, c’est qu’il est vraiment malade. Je note que l’on ne parle jamais de ces salariés qui ne prennent jamais d’arrêt maladie », pointe cette pharmacienne de profession.
Aligner le privé et la fonction publique
Durant l’examen du budget, en décembre, le Sénat avait adopté, sous l’impulsion de sa majorité de droite et du centre, un allongement du délai de carence à trois jours dans la fonction publique d’Etat, contre un seul actuellement. Le rapporteur LR Claude Nougein, à l’origine de l’amendement, avait invoqué « le dynamisme des effectifs de la fonction publique d’État depuis 2018 », l’objectif étant d’aligner la situation du public avec celle du privé.
« Il est difficile de comparer les délais de carence du privé et du public. Dans le privé, un certain nombre de salariés voit leurs jours de carence couverts par leurs complémentaires. Ceux qui ont un vrai jour de carence, ce sont les fonctionnaires du public pour lesquels, ce jour-là s’applique strictement », lui avait opposé Thomas Cazenave, le ministre des Comptes Publics.
La mesure a donc été supprimée dans la version finale du texte, promulguée après activation du 49.3. Notons que les 220 millions d’euros qu’elle aurait permis d’économiser pour l’année 2024, selon les calculs du sénateur Claude Nougein, semblent aujourd’hui bien minces face aux 50 milliards d’euros que doit trouver le gouvernement, s’il veut tenir son engagement de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici la fin du quinquennat.