C’est devant des sénateurs profondément inquiets sur l’avenir de la sidérurgie en France que le président d’ArcelorMittal France a dû s’expliquer ce 28 mai. Le géant de l’acier, aux prises avec un recul important de la demande en Europe et une concurrence féroce de la production chinoise, avait annoncé en avril son intention de supprimer environ 600 postes dans sept sites industriels du nord de la France.
Alain Le Grix de la Salle a notamment déclaré au cours des échanges ce mercredi que la réduction des effectifs envisagée était nécessaire à court terme pour assurer le maintien de la compétitivité de ses sites. Tout en se voulant rassurant sur ses engagements en matière de décarbonation et la reprise des investissements, y compris sur le site clé de Dunkerque. Ces derniers sont pour le moment suspendus, dans l’attente d’actions concrètes de la Commission européenne pour protéger l’acier européen.
« À partir du moment où l’Europe clarifie les règles dans lesquelles on va opérer, ArcelorMittal donnera de la visibilité sur sa stratégie européenne et donc française »
Plusieurs sénateurs, en particulier des régions concernées au premier chef par les suppressions de postes, y ont vu une stratégie en apparence contradictoire au sein du groupe sidérurgiste. Le groupe pourrait supprimer 200 à 250 postes rien qu’à Dunkerque, alors que le site était promis à un projet de décarbonation des hauts fourneaux, pour un montant de 1,8 milliard d’euros (dont 800 millions de soutien public), projet mis sur pause fin 2024. « Ce projet est-il sincère, ou est-ce tout simplement un écran de fumée pour faire passer le plan social », a demandé le socialiste Rémi Cardon, sénateur de la Somme. « Comment vous croire aujourd’hui Monsieur le président », est également intervenue Amel Gacquerre, sénatrice Union centriste du Pas-de-Calais, encore marquée par la « fermeture brutale » de l’équipementier Bridgestone à Béthune en 2021.
« Le plan de Dunkerque, c’est quelque chose de court terme, qui répond à une nécessité de garder notre compétitivité et de réagir par rapport à une situation de dégradation énorme de nos résultats au 4e trimestre de l’an dernier, et au 1er trimestre de cette année », a fait valoir Alain Le Grix de la Salle, au sujet des suppressions de postes. « Quand on parle de la décarbonation, on parle du moyen et du long terme […] Nous sommes confiants dans le fait de lancer cette décarbonation, à partir du moment où l’Europe prend effectivement les mesures telles qu’elles ont été expliquées au sein du plan acier, mais qui restent à décliner », a-t-il tenu à distinguer. Et de rappeler que le premier four électrique à Dunkerque sera « normalement » confirmé à la fin de l’été : « À partir du moment où l’Europe clarifie les règles dans lesquelles on va opérer, nous donner de la visibilité, le groupe ArcelorMittal donnera de la visibilité sur sa stratégie européenne et donc française. »
« Il n’y a plus de marché en France » : le président d’ArcelorMittal France critique sur le scénario d’une nationalisation
Les organisations syndicales redoutent cependant un abandon des investissements sur le site de Dunkerque. La CGT affirme notamment que cinq emplois, qui étaient prévus pour la nouvelle ligne haute tension entre le site de production et la centrale nucléaire voisine, sont supprimés. Le sénateur communiste Fabien Gay, qui avait déjà longuement interrogé le patron d’ArcelorMittal France dans le cadre de sa commission d’enquête sur les aides publiques, s’est fait le relais des craintes des salariés.
« Les dossiers sont en cours, on est en train de finaliser la phase 1 de la décarbonation de Dunkerque. Il y a une partie de la fameuse ligne à haute tension […] Les discussions avec les partenaires sociaux doivent débuter début juin, je n’ai pas de détail sur les 5 postes dont vous faites référence », a répondu le président du groupe. Confiant sur ce dossier, il a précisé que les discussions avec le gestionnaire du réseau « avancent très bien ».
Alain Le Grix de la Salle s’est par ailleurs montré critique sur les appels à la nationalisation visant le site de Dunkerque. Il a mis en doute la viabilité d’un tel projet, dans la mesure où l’usine est aujourd’hui adossée dans un groupe international fortement intégré à la fois dans la chaîne de production, mais également dans le réseau européen. « Aujourd’hui, 60 % des ventes françaises de Dunkerque et Fos-sur-Mer se font en Europe, parce que nous sommes Européens dans une organisation européenne, le carnet de commande européen est distribué sur l’ensemble des sites européens […] Vous prenez un site comme Dunkerque en France, seul, et vous le chargez avec quoi ? Il n’y a plus de marché en France, il a été divisé par deux en une dizaine d’années. »
« Nous sommes optimistes sur notre futur »
Alors que le groupe est accusé de privilégier son développement en Inde, pays de son principal actionnaire Lakshmi Mittal, Alain Le Grix de la Salle a assuré que France restait un « pays clé » pour le groupe. « Si le groupe ne croyait pas en Europe ou la France, si le groupe pensait délocalisation pour ses opérations industrielles, alors nous n’aurions pas lancé ou ne ferions pas les investissements annoncés […] La stratégie d’ArcelorMittal est claire : nous investissons dans des marchés en croissance comme le Brésil, l’Inde, ou des marchés à forte valeur ajoutée, comme les Etats-Unis. La stratégie de l’Europe, c’est la décarbonation, nous l’avons expliqué. »
Interrogé par Vincent Louault (Horizons) sur sa vision de l’avenir de la sidérurgie à une échéance de 15 ans, le dirigeant économique a relié une nouvelle fois le sujet à la mise en œuvre rapide du plan européen pour l’acier. « Nous sommes optimistes sur notre futur, il n’y a pas de raison de tomber dans le catastrophisme. »
Malgré cette touche finale teintée de confiance, le patron d’industrie a néanmoins énuméré les nombreux obstacles sur la roue d’ArcelorMittal : parmi lesquels les difficultés de la filière automobile – qui représente une part significative de son activité, les prix de l’énergie, déterminants dans son modèle économique.