Le sénateur LR Jean-François Husson estime qu’il faut « aller vite sur la loi spéciale » et ensuite « se remettre au travail rapidement » pour doter la France d’un budget.
Agriculture : derrière les négociations entre la FNSEA et le gouvernement, le maintien d’un modèle de « cogestion »
Par Romain David
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Une partie des blocages mis en place par les agriculteurs a été levée au lendemain des annonces de Gabriel Attal. De quoi laisser espérer une sortie de crise progressive, même si, ce vendredi 2 février, une partie des agriculteurs reste mobilisée, notamment autour de Lyon où en Occitanie, épicentre de la contestation, selon un pointage de l’AFP. « Nous avons décidé qu’au vu de tout ce qui a été annoncé, il faut qu’on change de mode d’action », ont expliqué lors d’une conférence de presse commune Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, le premier syndicat agricole, et Arnaud Gaillot, celui des Jeunes agriculteurs, principal partenaire de la FNSEA. À rebours, La Coordination rurale et la Confédération paysanne appellent à poursuivre le mouvement, estimant que la question du revenu n’a pas été traitée par le gouvernement.
L’Occitanie a été la première à se mobiliser. Le mouvement « on marche sur la tête » y est né en octobre, à l’initiative des Jeunes agriculteurs du Tarn qui, les premiers, ont eu l’idée de retourner les panneaux situés à l’entrée des communes. La région a été durement frappée par l’influenza aviaire et la maladie hémorragique épizootique (MHE). Les restrictions qui en ont découlé et le déblocage au compte-goutte des aides prévues ont nourri le mécontentement. La manifestation qui se tient à Toulouse le 16 janvier marque le point de départ d’une véritable montée en puissance. Jérôme Bayle, agriculteur à Montesquieu-Volvestre, y apparaît comme l’une des principales figures du mouvement et appelle à bloquer l’autoroute. Dans le même temps, Philippe Jougla, le président de la Fédération Régionale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FRSEA), l’une des antennes de la FNSEA, se voit huer. La scène trahit le décalage qui s’opère entre la base et ses représentants syndicaux.
Les premières mobilisations ont donné lieu à des comparaisons avec le mouvement des « gilets jaunes », né sur les ronds-points en 2018 : dans les deux cas il s’agit d’une contestation spontanée, peu structurée et caractérisée par une multitude de revendications. En l’occurrence sur les rémunérations trop basses, l’empilement des normes, les distorsions de concurrence ou encore les contraintes environnementales imposées par la politique agricole commune (PAC).
« La très grande force de la FNSEA, c’est d’être capable de digérer des intérêts divergents »
Un parallèle que conteste François Pureseigle, chercheur associé au Cevipof (Sciences Po Paris) et professeur à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse, dans les colonnes du Monde : « Alors que le mouvement des ‘gilets jaunes’était désorganisé et n’avait pas été anticipé par les corps intermédiaires, celui des agriculteurs est parti de fédérations locales, même si certaines ont été surprises par l’ampleur du mouvement. Ils ont aussi reçu le soutien des maires ruraux, qui n’ont pas remis en cause leurs actions de panneaux retournés, alors qu’on ne peut pas en dire autant pour les ‘gilets jaunes’ ».
« A l’échelon local, les fédérations ont été présentes dès le début du mouvement », confirme Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech. « Ce qui peut paraître étonnant, c’est que l’Occitanie a cette particularité d’être une région de très petites surfaces, en moyenne 20 hectares par exploitation contre 70 environ dans le reste de la France, avec des difficultés spécifiques aux viticulteurs et aux éleveurs de bovins. Or, leur grogne a été récupérée sans difficulté par les exploitants de grande taille de la FNSEA, qui ont su surfer sur le mouvement », explique-t-il. « À première vue, les intérêts des agriculteurs occitans semblaient plutôt se rapprocher de la ligne de La Confédération paysanne, qui prône une approche centrée sur l’individu plutôt que sur les surfaces. Mais c’est là la très grande force de la FNSEA, être capable de digérer des intérêts divergents. »
« La FNSEA a été le bras armé de l’Etat, davantage qu’un outil syndical »
Toutefois, le premier syndicat agricole a pu sembler se laisser déborder par la virulence du mouvement. Alors que les colonnes de tracteurs convergent vers Paris, sur France 2, le 24 janvier, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, assure que le blocage de la capitale « à ce stade n’est pas une option ». Le 30 janvier sur Europe 1, tandis que le marché de Rungis est menacé, il bat en brèche : « Notre objectif, ce n’est pas d’affamer les Français, c’est de les nourrir ». Pour autant, ce vendredi 2 février, le syndicaliste a menacé sur BFMTV de « remettre le couvert » si l’exécutif ne respecte pas ses promesses. Bien que la direction du syndicat ne cautionne pas la violence et les débordements en marge de la mobilisation, indirectement, ces évènements sont aussi devenus un moyen de pression.
« La FNSEA a eu le monopole syndical jusqu’en 1987. Aujourd’hui, ce type de pouvoir très vertical, organisé en silos, cède progressivement la place à des formes plus rhizomatiques avec un rôle central joué par les réseaux sociaux », relève Frédérick Lemarchand, professeur de sociologie à l’université de Caen. « Pour autant, le gouvernement continue d’installer la FNSEA comme interlocuteur unique, ce qui facilite les négociations ».
Cette situation a aussi une explication historique. La France de l’après-guerre met en place un système de cogestion pour assurer la modernisation de son agriculture ; un partenariat lie les décideurs politiques aux organisations professionnelles, auxquels on confie la mise en œuvre des politiques agricoles. « Fondée en 1946, la FNSEA a été le bras armé de l’Etat, davantage qu’un outil syndical, pour asseoir la domination de l’Etat sur une profession qui était en construction », poursuit Frédérick Lemarchand. « Si la cogestion n’est pas récente, les liens Etat-FNSEA ont fini par rendre une ampleur inédite », ajoute Jean-Christophe Bureau.
« La FNSEA a appelé à voter pour Emmanuel Macron, et ce type de soutien se monnaye cher… »
Il n’aura fallu que quelques jours de discussions, et deux interventions du Premier ministre, vendredi 26 janvier puis jeudi 1er février, pour que le gouvernement présente un vaste éventail de mesures, reprenant pour partie les propositions faites par la FNSEA. Une situation qui tranche avec le syndicalisme ouvrier, habitué à d’interminables bras de fer avec le pouvoir, à l’image des échanges particulièrement houleux entre les partenaires sociaux et Matignon, en marge de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Jean-Christophe Bureau y voit une conséquence de la fracturation politique, et de la fin du bipartisme : « Les agriculteurs représentent 2 à 3 % des électeurs, mais leur poids électoral est devenu énorme, car cela suffit désormais à remporter une élection. Alors que la profession est en train de basculer vers RN, la FNSEA a appelé à voter pour Emmanuel Macron, et ce type de soutien se monnaye cher… », relève l’enseignant. « Il y a toujours eu une allégeance du pouvoir, tel qu’il soit, à l’égard du syndicalisme agricole majoritaire », souligne Frédérick Lemarchand. « Il y a une méfiance historique, ancrée dans l’ADN de l’Etat, vis-à-vis des paysans. Parce qu’ils sont des gens de terrain, au caractère bien trempé, et qu’ils ont du matériel à disposition. Un tracteur, c’est un petit char d’assaut ».
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