Déficit public : revivez le face-à-face tendu entre Gabriel Attal et les sénateurs

La commission des finances a entendu ce 8 novembre l’ancien Premier ministre, pour faire la lumière sur le dérapage du déficit public au cours des derniers mois. Retrouvez tous les temps forts de l'audition.
Rédaction Public Sénat

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Au lendemain de l’audition de Bruno Le Maire, les sénateurs de la commission des finances ont entendu ce vendredi matin l’ancien Premier ministre Gabriel Attal. Un face-à-face important, puisque la veille, son ancien ministre de l’Economie a renvoyé la responsabilité de l’absence de budget rectificatif en 2024 à un niveau supérieur. « La réponse est à demander à ceux qui ont pris l’arbitrage », a-t-il répondu aux sénateurs.

 « Certains voulaient s’en prendre à mon chien », rappelle Gabriel Attal

Alors que l’audition touche à sa fin, l’ancien Premier ministre rappelle que certaines de ses mesures d’économies étaient impopulaires, y compris chez ses ministres. « Certains voulaient s’en prendre à mon chien », a-t-il relaté, en référence à certains articles de presse. Selon Le Monde, en mars, la ministre de la Culture Rachida Dati avait menacé par sms de transformer le chien Volta du Premier ministre « en kebab », pour protester contre les économies dont ferait l’objet son ministère.

« J’ai le sentiment qu’on a beaucoup parlé au Parlement de ces questions de finances publiques », réplique Gabriel Attal

Le rapporteur général revient sur l’opportunité manquée d’un projet de loi de finances rectificative, décidemment le nœud gordien de l’audition. « Avec un PLFR, au moins, on organisait le débat », s’exclame le rapporteur général.

« J’ai le sentiment qu’on a beaucoup parlé au parlement de ces questions de finances publiques » entre janvier et juin 2024 », fait valoir l’ancien Premier ministre rappelant les questions au gouvernement « toujours très percutantes » de son interlocuteur. « Avec peu de réponses concrètes », l’interrompt le sénateur de la Meurthe-et-Moselle. L’ancien chef du gouvernement a également mentionné la mission sénatoriale sur le déficit public au printemps. Or, c’est précisément face au manque de partage d’informations du gouvernement que cette initiative a été lancée.

Sur ce sujet, Gabriel Attal s’est placé dans les pas de Bruno Le Maire, approuvant ses propositions sur une meilleur association du Parlement sur les informations budgétaires. « Je reprends la proposition de Bruno Le Maire sur le fait que le parlement soit davantage associé au moment des budgets économiques d’hiver ou budgets économiques d’été, qu’il puisse y avoir une transmission d’information sur les prévisions. »

En clair, il existait d’autres moyens « qu’un texte ad hoc » pour aborder les questions de finances avec le Parlement. « Le Parlement, c’est incontournable, et là vous avez commis une faute majeure à mon avis », réplique Jean-François Husson.

« Ça part complètement en sucette ! » :  clash entre Gabriel Attal et le rapporteur général du budget

« Le début de l’année 2024, ça part complètement en sucette ». Est-ce cette phrase du rapporteur général, Jean-François Husson qui a animé audition de Gabriel Attal, jusque-là assez calme ?

Rappelons que le Gabriel Attal a été nommé à Matignon le 9 janvier 2024, soit au moment où selon l’élu, « ça part en sucette ». C’est-à-dire au moment des premières alertes sur l’augmentation du déficit. « C’est une forme d’indigence et un manque de rigueur dans la tenue de nos comptes », tance Jean-François Husson qui reproche à Gabriel Attal d’avoir fait des annonces « de dépenses nouvelles et nombreuses ».

L’intéressé ne s’en laisse pas compter. « Je vous propose quelque chose. On va prendre dépense par dépense. Faites mois la liste des dépenses que vous me reprochez et qui seraient venues dégrader la trajectoire et le solde en 2024 ».

S’ensuit un échange « à fleuret moucheté » entre les deux hommes. Gabriel Attal se défend sur ses annonces visant à répondre à la crise agricole. « Ces mesures, c’est 400 millions d’euros […] financées sur la provision pour crise du ministère de l’agriculture », précise-t-il. Il consent toutefois que l’abandon de l’augmentation de la fiscalité du gazole non-routier a coûté 70 millions d’euros.

« C’est quoi ces 5 milliards d’euros ? »

Jean-François Husson n’en démord pas. « Le budget n’est pas tenu », lance-t-il. « Est-ce que les dépenses de l’Etat ont dérapé en 2024 ? », rétorque le député, qui comme les autres anciens membres du gouvernement, explique l’ampleur du déficit par une chute brutale des recettes. « Vous avez parlé de dépenses supplémentaires de 5 milliards d’euros hier à Bruno Le Maire. C’est quoi ces 5 milliards d’euros ? », insiste Gabriel Attal, inversant quelque peu les rôles.

« Vous êtes dans une situation de déni. On devait avoir une amélioration. On a eu une dégradation des comptes publics », maintient le sénateur qui insiste sur les 16 milliards de reports de crédits en 2024.

Gabriel Attal et Jean-François Husson finissent par se mettre d’accord sur un point. « C’est moins ennuyeux pour les téléspectateurs de se parler comme ça ».

Refus d’un budget rectificatif : « C’est moi qui prends l’arbitrage avec le président de la République », précise Gabriel Attal

Les sénateurs n’entendent pas lâcher Gabriel Attal sur le choix de ne pas recourir à un projet de loi de finances rectificative (PLFR) en 2024. « Vous nous dites que les élections européennes, ce n’est pas le sujet », le relance le président PS de la commission des finances, Claude Raynal, alors que l’ex-premier ministre soutient que ce n’est pas l’arrivée du scrutin qui a motivé de ne pas faire de PLFR. « Le premier ministre, par nature, est le patron de la majorité à l’Assemblée. […] Donc vous devez tenir compte aussi du climat politique dans lequel se prennent les décisions », soutient le sénateur PS, qui remarque que « la discussion sur le fait qu’il y a qu’il y ait ou non un PLFR, date de février. […] Dans la réalité, le sujet va percuter les élections ». Or lors de l’audition hier de Bruno Le Maire, Claude Raynal fait remarquer que « le seul endroit où tout d’un coup, on n’a plus de réponse, c’est quand on lui demande si sur le PLFR, il y a un arbitrage de nature politique. Il refuse de répondre. […] Il dit vous en parlerez à mes successeurs. On a tendance à considérer que ce silence vos acceptations ». Et d’insister : « Est-ce que oui ou non, ce sujet a été dans le débat ? »

Gabriel Attal semble alors sous-entendre que la question des européennes a pu être évoquée, tout en répétant que l’élection n’a pas guidé le choix. « Pour répondre, quand vous devez prendre des décisions, politiques ou techniques, oui, vous le faites en fonction d’un contexte. Vous posez toutes les questions, les plus, les moins. Qu’est-ce qu’on va dire ? Est-ce plus utile de passer par tel vecteur ? Le plus efficace dans l’environnement politique international ? Quel impact sur telle décision, tel chantier ? Quelle perception vous allez avoir ? »

Il ajoute que « certains disaient même qu’il faudrait le faire le plus tôt possible, car si on ne le fait pas, les oppositions vont dire qu’on passe par un autre texte pour expliquer qu’il y a un plan caché. […] Certains considéraient que c’était notre intérêt, vis-à-vis d’échéances électorales, de passer un texte avant ».

Donc « dans les décisions qu’on a, vous tenez compte d’une pluralité de sujets, forcément. Est-ce que la décision prise de passer par un PLF et PLFG, plutôt qu’un PLFR, relève des européennes ? La réponse est non », répète Gabriel Attal, qui le redit clairement : « C’est moi qui prends l’arbitrage avec le président de la République ».

« C’est quand même un arbitrage lourd de conséquences, car vous prenez, en accord avec le président de la République, la décision de mettre en cause ce qui avait été voté sous Elisabeth Borne, l’objectif d’avoir un déficit à 4,4 % pour 2024. […] Il y a un abandon », rétorque Jean-François Husson. « Non, il n’y a pas eu d’abandon. La mesure pouvait être prise sans PLFR », ne lâche pas Gabriel Attal.

Gabriel Attal réfute l’hypothèse selon laquelle les élections européennes ont conduit l’exécutif à refuser un budget rectificatif

Jean-François Husson évoque une note de Bruno Le Maire adressée par Emmanuel Macron au printemps. Les 10 milliards de gels de crédit et un PLFR (projet de loi de finances rectificative) sont « les seuls susceptibles de nous éviter la dégradation de la note française par Standard and Poor’s le 31 mai 2024, à quelques semaines des élections européennes », a-t-il cité.

Pour le sénateur, cette dernière précision laisse planer un doute sur les motivations de l’exécutif. « Ce n’est pas de la procrastination, en fait vous enjambez l’obstacle des élections européennes en vous disant la situation pourrait nous revenir en boomerang, on se refait une santé, et finalement les Français vont nous suivre. »

« Je vois bien la conclusion à laquelle vous voulez arriver dans le cadre de cette mission », répond Gabriel Attal. « Je vous dis que ce n’est pas le cas. Si la boussole des décisions que j’ai été à prendre avec mon gouvernement c’était de préserver la majorité avant les élections européennes, on n’aurait pas augmenté la taxe sur l’électricité en janvier, on n’aurait pas annulé 10 milliards d’euros de crédit en février, on n’aurait pas doublé les franchises médicales en mars, on n’aurait pas annoncé une réforme de l’assurance chômage en avril et en mai… »

« Je trouve assez scandaleux le procès médiatique, politique, fait à Bruno Le Maire »

Bruno Le Maire a marqué la veille son audition avec une déclaration : « Ça a toujours été mon obsession le désendettement de la France. » Gabriel Attal est venu confirmer cette position ce vendredi, alors que le rapporteur général Jean-François Husson a mis en doute cette volonté, rappelant l’augmentation de 1000 milliards d’euros de la dette françaises en 7 ans. « Je trouve assez scandaleux le procès médiatique, politique, qui lui est fait dans beaucoup de cercles […] Je n’ai toujours vu qu’un ministre de l’Economie effectivement très soucieux de tenir les comptes publics de la France », assure-t-il.

L’ancien Premier ministre appuie également la communication qui a entouré le budget 2023, à savoir celle d’un budget à « l’euro près ». « Est-ce que les dépenses de l’État sont supérieures à ce qui était prévu ? La réponse est non […] C’est bien la chute brutale dans les recettes, singulièrement en fin d’année, qui explique une partie importante du décalage du solde. »

Budget 2023 : « Ce n’est pas à l’euro près, ce sont des euros en moins », rappelle Jean-François Husson

Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson a rappelé à l’ancien Premier ministre la communication gouvernementale qui a entouré la présentation du budget 2023. « Vous vous souvenez très bien. Le budget à l’euro près. Et il se termine par un exercice plus déficitaire encore que vos prévisions […] Ce n’est pas à l’euro près, ce sont des euros en moins, des milliards d’euros en moins », a-t-il souligné.

Jean-François Husson estime alors « qu’il faut assumer une forme de ruissellement de mauvais résultats. Nous avons tous une part de responsabilité ». Le sénateur regrette que les 7 milliards d’économies votés par le Sénat dans le budget 2024 n’aient pas été retenus par le gouvernement. « En décembre 2023, on nous explique que c’est inutile et moins de 60 jours après, le gouvernement commençait à sonner l’alerte », s’interroge-t-il.

Plutôt qu’un projet de loi de finances rectificative, Gabriel Attal misait sur « d’autres textes  » pour faire des économies

Dès son propos en ouverture, Gabriel Attal est revenu sur la décision de ne pas recourir à un projet de loi de finances rectificative (PLFR), soit un collectif budgétaire, qui permet de réviser le budget de l’année en cours, afin d’adopter de nouvelles mesures. Son ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, en demandait un face au dérapage des déficits, mais il avait perdu l’arbitrage, a-t-il insisté jeudi lors de son audition.

« Sur la question du PLFR. Ce débat, nous l’avons eu avec le ministre des Finances, celui des Comptes publics et le président de la République », commence l’ancien premier ministre, qui implique donc Emmanuel Macron dans la décision. « Et en réalité, la question qui se posait n’était pas s’il fallait ou non un PLFR, mais savoir quel véhicule législatif utiliser pour accomplir le reste du chemin, après le décret d’annulation (de 10 milliards d’euros), pour tenir nos finances publiques », explique celui qui est aujourd’hui président du groupe EPR (Renaissance), à l’Assemblée.

Gabriel Attal rappelle que le gouvernement était « allé au taquet » des économies possibles par décret. « Pour le reste, il fallait passer par le Parlement et jamais il n’a été question de ne pas passer par le Parlement. La question, c’était commun ? Un PLFR ou d’autres textes ? Nous avons choisi d’autres textes », explique l’ancien premier ministre.

Son gouvernement misait ainsi « d’abord sur le projet de loi de finances 2025, dans lequel nous avions prévu d’inscrire les mesures de la mission sur les rentes, avec la taxation des superprofits des énergéticiens et les rachats d’action. On peut prendre des mesures fiscales sur l’année », en cours. Et « le deuxième texte, c’est évidemment le projet de loi de fin de gestion, qui a vocation à annuler des crédits gelés en cours d’année ». Il rappelle que « près de 17 milliards d’euros de crédits » avaient été gelés, « avec l’objectif d’annuler une part massive de ces crédits à la fin de l’année ». Autrement dit, « il n’y avait pas besoin de prendre un PLFR pour prendre ces mesures qui nous avions arbitrées ». Il résume : « Nous avons décidé de concentrer sur le PLF 2025 et le projet de loi de finances de fin de gestion 2024 les mesures d’économies ou de recettes supplémentaires que nous avions prévues ».

Gabriel Attal ajoute un autre argument : « Ne pas prendre de PLFR permettait d’avoir plus de temps pour examiner d’autres textes », comme « le projet de loi d’orientation agricole » ou celui sur « la fin de vie ». En revanche, l’ancien locataire de Matignon n’évoque pas les élections européennes, qui auraient pu, selon les sénateurs, expliquer le choix de ne pas déposer un PLFR forcément impopulaire, avant les élections.

« J’ai demandé de ne pas faire d’annonces budgétaires sans validation de Matignon », affirme Gabriel Attal

En ouverture de son propos, l’ancien Premier ministre affirme avoir eu conscience dès le début de son arrivée à Matignon, le 9 janvier 2024, « de la tension sur nos finances publiques ». « Nous n’avons pas tardé à nous mettre au travail », relate-t-il, alors que son directeur de cabinet l’informe d’un risque qui pèse sur le niveau des rentrées fiscales. Gabriel Attal rappelle ce message adressé à l’ensemble de son gouvernement : « J’ai demandé de ne pas faire d’annonce budgétaire sans concertation et validation de Matignon. » Retour de taxes sur l’électricité, hausse des franchises médicales, décret d’annulation de 10 milliards d’euros ou encore crédits gelés : l’ancien Premier ministre a énuméré toutes les mesures prises au début de l’année pour tenter de « freiner » les dépenses.

Claude Raynal, le président socialiste de la commission des finances introduit l’audition de Gabriel Attal

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