Le gouvernement multiplie les prises de parole contre l’accord de libre-échange que négocie la Commission européenne avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie). En déplacement hier à Bruxelles, Michel Barnier a réaffirmé l’opposition de la France à ce projet de traité, dont les négociations ont commencé il y a 25 ans. Le projet d’accord prévoit la suppression progressive des droits de douane sur 90 % des biens échangés entre les deux blocs. Ses opposants en France redoutent des effets indésirables pour les éleveurs en France, avec l’importation de viande bovine, mais aussi des conséquences en matière de développement durable, avec le risque de déforestation.
Si la mobilisation française s’intensifie depuis quelques jours, c’est que le texte est en voie d’être finalisé dans les prochaines semaines. Plusieurs échéances seraient propices à des annonces, comme le sommet du G20 à Rio, les 18 et 19 novembre, mais surtout le sommet des pays membres du Mercosur, du 5 au 7 décembre, à Montevideo (Uruguay).
Auditionnée au Sénat ce 14 novembre, par les commissions des affaires économiques, des affaires étrangères ou encore des affaires européennes, la ministre déléguée au Commerce extérieur Sophie Primas a promis de défendre « avec détermination » le « non catégorique » de la France à un projet d’accord qui ne serait pas renégocié. « La position de la France ne change pas. Elle est ferme et inébranlable. Nous n’accepterons pas ce traité tel qu’il est », a martelé l’ancienne sénatrice LR, qui estime que le texte est « déséquilibré » et porte des « incohérences » au sein de l’Union européenne.
« Des solutions simples et efficaces sont à notre portée pour procéder aux ajustements nécessaires »
Le gouvernement n’oppose pas une fin de non-recevoir par principe aux traités commerciaux, qui se matérialisent par la disparition ou la forte réduction des droits de douane. « La fermeté ne doit pas être synonyme de fermeture », a-t-elle précisé. Le Mercosur reste un moyen pour l’Europe de diversifier ses approvisionnements en matières premières, en particulier pour les terres rares, ou encore de constituer de nouveaux débouchés pour plusieurs produits d’exportation.
Mais le compte n’y est pas pour la France, qui demande un accord « exigeant sur les questions environnementales et notre agriculture ». Ce dernier aspect est d’ailleurs hautement inflammable, à l’heure où la contestation reprend de la vigueur dans les campagnes françaises. Les agriculteurs dénoncent un accord, dessiné comme un « accord bœufs contre voiture », qui les placera dans une situation de concurrence avec les producteurs sud-américains soumis à des normes moins exigeantes. Une journée d’action, aux revendications larges, est prévue le 18 novembre. « Il me semble que des solutions simples et efficaces sont à notre portée pour procéder aux ajustements nécessaires », a estimé Sophie Primas, qui s’attend à une « bataille rude » sur le sujet.
Paris veut une clause pour suspendre l’accord en cas de violation majeure des engagements climatiques inscrits dans l’accord de Paris, un mécanisme de règlement pour trancher les différends sur le plan environnemental. Ou encore des garanties sur le fait que les règles européennes sur déforestation s’appliqueront sans dérogation. Sophie Primas rappelle également qu’il faut des exigences pour « prémunir la production agricole européenne contre toute forme de concurrence déloyale ».
Risque de recours à un accord « intérimaire »
Comme il s’agit d’un accord mixte, le texte nécessitera une adoption à l’unanimité au Conseil de l’Union européenne, l’approbation du Parlement européen, et une ratification des parlements nationaux. La France dispose donc pour l’heure d’un droit de veto.
Mais un autre scénario semble s’écrire. Depuis plusieurs mois, les parlementaires français redoutent un contournement des parlements nationaux. Le risque serait que la Commission européenne scinde le volet commercial du volet politique de l’accord. La partie commerciale, qui ferait l’objet d’un accord intérimaire, échapperait alors à la règle d’une prise de décision à l’unanimité. Un vote à la majorité qualifiée (au moins 15 États sur 27 qui correspondent à 55 % de la population de l’Union) serait suffisant. C’est ce qu’il s’est passé l’an dernier avec l’accord conclu avec le Chili.
Sophie Primas a déclaré qu’un tel « contournement » du mandat donné à la Commission européenne en 1999 serait « parfaitement illégitime », tout en reconnaissant que la France pourrait « difficilement » s’y opposer sur le plan juridique. Si la Commission s’engageait dans cette voie, l’erreur serait avant tout politique, aux yeux de la ministre, comme de plusieurs sénateurs. « Organiser le contournement des parlements nationaux nous semble politiquement envisageable, une faute, et nourrirait probablement le sentiment anti-européen, ce qui n’est pas vraiment le moment », prévoit l’ancienne sénatrice.
La ministre espère convaincre des États membres hésitants
Dans l’éventualité d’un accord à ratifier par une majorité qualifiée, la France s’emploie à chercher des alliés, en vue de former une minorité de blocage. Cela suppose pour la France de convaincre trois États, dont la population combinée représenterait plus de 35 % de la population de l’Union européenne.
C’est loin d’être gagné car Paris apparaît très isolé dans la dernière ligne droite des négociations. Plusieurs pays, l’Allemagne en tête, voient plutôt des débouchés importants pour leurs industries. « Il ne faut pas raconter des carabistouilles, ni aux parlementaires, ni aux Français, la minorité de blocage est difficile à atteindre. Mais ce n’est pas impossible », a reconnu Sophie Primas. Pour le sénateur Daniel Gremillet (LR), la France paye aujourd’hui sa « faiblesse » dans les discussions bilatérales avec ses partenaires européens.
Le gouvernement se démène en particulier auprès d’États dont les parlements se sont opposés au projet d’accord, les pays où le secteur agricole est important, ou encore « les plus timides, ceux qui se taisent aujourd’hui ». Aucun nom n’a été cité pour ne « pas mettre en porte-à-faux » les pays en question.
Or, une fois que le projet d’accord sera finalisé, le processus de ratification pourrait aller très vite. Une fois le texte traduit dans l’ensemble des langues officielles de l’UE, la Commission n’aura plus qu’à obtenir du Conseil une décision pour l’autoriser à signer, puis un vote du Parlement européen, et seulement du Parlement européen, dans le scénario de scission des différentes parties de l’accord. Dans l’exemple du traité conclu avec le Chili, tout s’est joué en trois mois, a rappelé Sophie Primas. « C’est devant ce calendrier qui est très court, que nous devons vraiment agir tous ensemble », a-t-elle averti.
Large mobilisation des parlementaires
Dans ce combat, le gouvernement sait qu’il pourra s’appuyer sur les parlementaires. Avant son arrivée au gouvernement en septembre, Sophie Primas avait bataillé avec ses collègues au Sénat pour faire pression sur le gouvernement de Gabriel Attal. En janvier, une résolution avait été adoptée à l’unanimité pour demander le report de la fin de négociations entre l’UE et le Mercosur.
Cette semaine, ce sont 622 parlementaires français qui ont consigné une tribune commune, à l’initiative du sénateur écologiste Yannick Jadot, pour faire savoir que les conditions d’un accord avec le Mercosur n’étaient « pas réunies ». Du jamais vu pour le président de la commission des affaires étrangères Cédric Perrin. « Depuis quand dans notre pays on a une tribune un appel signé par 600 parlementaires qui demande qu’on n’applique pas un texte ? » « C’est exactement ce que le Premier ministre est allé défendre devant Ursula von der Leyen », la présidente de la Commission européenne, a répondu Sophie Primas. « Si contre l’avis de la France, un pays aussi important dans l’UE, l’Union européenne prend la décision de passer outre, je pense ça pose un problème politique majeur », a-t-elle répété.
Dans un contexte de tensions commerciales avec la Chine, et demain potentiellement avec l’administration de Donald Trump, Sophie Primas considère que les Européens ont « l’obligation » de « retrouver les voies de l’unité ».