Ce 16 janvier, le Sénat a ajouté sa pierre à l’édifice d’un accord en discussion depuis plus de 20 ans : l’accord commercial entre l’Union européenne et l’alliance économique du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay). Conclu en juin 2019, cet accord de libre-échange censé ouvrir le commerce entre les deux continents sans tarifs douaniers n’a jamais été ratifié, devant l’opposition de nombreux pays dont la France. Aujourd’hui, il fait de nouveau l’objet de critiques, dans le cadre des fortes mobilisations d’agriculteurs qui s’organisent partout en France et en Europe.
À l’unanimité, les sénateurs ont adopté une résolution pour « rappeler un certain nombre de lignes rouges », alors que les négociations ont été relancées par une rencontre entre Emmanuel Macron et le président brésilien Lula au mois de décembre. Dans leur résolution, les sénateurs Les Républicains et Union centriste estiment que « les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies » pour conclure cet accord.
La nécessité de « mesures miroirs » face au « géant économique »
Point clé de la résolution adoptée au Sénat : l’affirmation de la nécessité d’adosser des « mesures miroirs » à cet accord de libre-échange, pour empêcher toute distorsion de concurrence au détriment des exploitants européens. « Les théories du commerce international nous apprennent que le libre-échange permet des gains économiques globaux, mais c’est toujours au détriment de réallocations entre pays, entre entreprises, entre secteurs plus ou moins productifs. À ce jeu, notre agriculture européenne et particulièrement notre agriculture française sont bien souvent perdantes », déplore la sénatrice LR Sophie Primas, co-auteure de cette résolution.
La vice-présidente du Sénat n’hésite pas à qualifier les pays du Mercosur de « rouleau compresseur agricole », capables d’écraser l’agriculture européenne : « Le Mercosur est un géant économique, plus grand que n’importe lequel de nos partenaires. L’Argentine et le Brésil exportent à eux seuls chaque année la même quantité de maïs que celle produite chaque année dans toute l’Union européenne ».
En autorisant la vente dans l’UE de denrées produites sans respecter les normes en vigueur sur le marché européen, les élus craignent donc un affaiblissement du secteur agricole, notamment dans la filière bovine. « Avec l’accord, la part d’importation de bœuf du Mercosur passerait de 13 à 26 % sur le marché européen. C’est sur ces produits que nos paysans font de la valeur ajoutée, c’est donc encore une fois un danger absolu pour le secteur de l’élevage », explique l’écologiste Yannick Jadot.
« Nous ne soutiendrons pas un accord à tout prix »
Nouvellement nommé ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, l’ancien eurodéputé Stéphane Séjourné a soutenu du bout des lèvres la proposition de résolution des sénateurs, indiquant qu’Emmanuel Macron a déjà appelé de ses vœux à « aligner notre régime commercial aux Accords de Paris », lors de la COP 28. « Nous ne soutiendrons pas un accord à tout prix, il devra être profondément amélioré sur ces thématiques », assure Stéphane Séjourné.
Au nom du gouvernement, le ministre n’a pourtant pas prononcé un avis favorable à la proposition de résolution, mais « un avis de sagesse bienveillant ». Stéphane Séjourné ne partage pas totalement les demandes des sénateurs, notamment au sujet des « mesures miroirs ». « C’est un travail qui demande du temps, ces mesures doivent reposer sur un fondement scientifique solide. Il y a un risque de mesures de rétorsion de la part de nos partenaires, il faut nécessairement laisser aux pays le temps de s’adapter », défend le ministre.
Sur le long terme, l’ancien eurodéputé, par ailleurs président de la délégation pour les relations avec le Mercosur au Parlement européen, estime que « nous ne devons pas craindre un agenda commercial ouvert, tant qu’il reste durable et équilibré ». À ce titre, Stéphane Séjourné estime que l’adoption d’une nouvelle stratégie « ouverte, durable et volontariste » pour la politique commerciale de l’Union européenne peut contribuer garantir un accord de libre échange équilibré avec l’Amérique latine. Cette nouvelle politique, présentée en février 2021, annonce vouloir s’assurer que chaque nouvel accord commercial est conclu dans respect des Accords de Paris et en conformité avec les normes européennes.