Une première épreuve de force avant la guerre commerciale ? Etats-Unis et Union européenne sont entrés depuis plusieurs jours dans un jeu de surenchères sur les droits de douane, alors que Donald Trump vient d’annoncer sur son réseau Truth Social vouloir mettre en place « un tarif de 200 % sur tous les vins, champagnes et alcools importés de France et d’autres pays de l’UE ». Le président américain exige l’annulation des droits de douane à 50 % décidés par Bruxelles sur le whisky américain, applicables à partir du 1er avril. Ce taux a été mis en place par la Commission européenne en réaction au tarif douanier de 25 % sur l’acier et l’aluminium exportés aux Etats-Unis, et entré en vigueur cette semaine.
Une explosion des tarifs douaniers sur les exportations d’alcool pourrait avoir de très lourdes conséquences sur le marché français, l’Hexagone étant l’un des principaux acteurs mondiaux dans ce domaine. Pour autant, du côté de l’exécutif, il n’est pas question pour l’heure de céder au coup de pression du locataire de la Maison Blanche. « On ne peut pas se laisser terrasser par des menaces de cet ordre », a réagi le Premier ministre François Bayrou en marge du salon Global industrie à Lyon. « Il importe que nous montrions, nous, Européens, qui nous sommes et que nous ne cédons pas à ce genre de menaces », a-t-il ajouté.
Invité de la matinale de France 2, le ministre de l’Economie, Éric Lombard, lui a emboîté le pas en dénonçant « une guerre idiote ». « On sait que Trump est un négociateur et que sa façon de négocier, c’est d’abord d’augmenter les droits de douane », a-t-il tenté de rassurer. « Les Etats-Unis en faisant ça, se font mal », a ajouté le ministre, alors que 50 jours après l’investiture du républicain, l’économie américaine donne de premiers signes d’essoufflement.
Le prix de la bouteille multiplié par trois
Le Premier ministre était ce vendredi après-midi en Charente-Maritime, où il devait s’entretenir avec des représentants des producteurs d’armagnac et de cognac. « Je vais lui dire que toucher au Bourbon c’était une connerie, ça ne pouvait que faire bondir Trump. Il faut qu’il fasse en sorte de pousser Bruxelles à faire marche arrière. On peut éventuellement reculer sur ça, tout en ciblant d’autres choses », nous confiait un peu plus tôt le sénateur LR de Charente-Maritime, Daniel Laurent, président du groupe d’étude vignes et vin au Sénat, et qui devait accompagner François Bayrou pour sa visite.
« 200 % sur le vin, c’est proprement astronomique, le prix de la bouteille serait multiplié par trois, cela reviendrait à foutre en l’air toute la filière », ajoute-t-il. Sans réponse probante, ce parlementaire fait savoir qu’il n’hésitera pas à interpeller publiquement le locataire de Matignon lors de la prochaine séance de questions d’actualité au gouvernement.
« Nous comprenons parfaitement que la Commission européenne doive gérer un nouveau rapport de force avec les Etats-Unis. Mais cela doit être fait de façon opérante et pertinente. Or, cibler les vins de Californie ou les producteurs de Bourbon dans le Kentucky, qui sont nos alliés et nos partenaires, est de toute évidence contreproductif », a réagi dans un communiqué Gabriel Picard, résident de la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux. Ironie du sort, la Californie et le Kentucky sont aux mains des démocrates, et le gouverneur républicain du Tennessee, patrie du fameux Jack Daniels américain, entretient des relations tendues avec le locataire de la Maison-Blanche.
Les spiritueux pris en étau entre les Etats-Unis et la Chine
Le choc s’annonce d’autant plus rude pour les spiritueux français qu’ils subissent depuis cet automne, côté chinois, des droits de douane à près de 35 %. Les eaux-de-vie en provenance de l’UE font l’objet d’une enquête anti-dumping de la part des autorités chinoises, dont les conclusions sont attendues le 5 avril. Il s’agit de la réponse du régime à la taxation des véhicules électriques exportés vers l’Europe, et auxquels Bruxelles reproche de bénéficier de subventions « déloyales » accordées par Pékin. L’enjeu est de taille pour les producteurs français de spiritueux : plus de 95 % de la production de cognac est consommée à l’étranger, dont 25 % rien qu’en Chine.
Selon nos informations, le président de la République fait pression sur François Bayrou pour qu’il se rende lui-même en Chine afin de négocier une levée des taxes, en prévision du nouveau front commercial qui est en train de s’ouvrir avec les Etats-Unis.
Le désarroi des viticulteurs
Les menaces du président américain n’ont pas été sans soulever un certain émoi dans les couloirs du Sénat, où les intérêts de la filière vin sont très représentés, quand bien même les parlementaires ont désormais l’habitude des déclarations tous azimuts de l’ancien magnat de l’immobilier. « Les viticulteurs se sentent découragés. Ils en ont marre de payer systématiquement la note en cas de conflit diplomatique », soupire le sénateur de l’Hérault (RDSE) Henri Cabanel, lui-même viticulteur de profession. « La filière est de plus en plus révoltée par cette instrumentalisation, car ce n’est pas la première fois qu’un président américain, par malice, tape sur ce qui marche le mieux à l’export. »
« Connaissant le personnage et ce qui s’était déjà passé sous son premier mandat, la filière avait plus ou moins cherché à anticiper une hausse des droits de douane. Mais disons qu’elle s’était plutôt préparée à encaisser un choc de l’ordre de 20 à 25 %, en jouant sur la dynamique des prix et en négociant avec certains opérateurs. Là, on parle de 200 %, c’est proprement inimaginable ! », alerte le sénateur socialiste Sébastien Pla, vigneron dans l’Aude.
En 2024 les exportations européennes de vins et spiritueux vers les Etats-Unis ont représenté 9,8 milliards d’euros, dont 4,5 milliards uniquement pour les alcools tricolores, avec 10 % de la production globale envoyée de l’autre côté de l’Atlantique, selon les données du Centre du commerce international.
En ce qui concerne le vin, la France est à la troisième place des plus gros exportateurs mondiaux, avec 15 millions d’hectolitres exportés chaque année, dont 15 % vendus aux Etats-Unis. Depuis le milieu des années 2000, sa production est dépassée par l’Espagne et l’Italie, qui se situent désormais autour des 20 millions d’hectolitres vendus à l’étranger chaque année, selon les chiffres de l’Organisation mondiale du commerce. En termes de valeur, toutefois, les parts de la France sur le marché international dépassent très largement celles de ses principaux concurrents, avec 12 milliards d’euros générés en 2023, contre approximativement 8 milliards pour l’Italie et 3 milliards pour l’Espagne.
Ces résultats pourraient avoir tendance à éclipser la crise multifactorielle que traverse la filière tricolore. Outre la guerre économique à laquelle se livrent les principaux acteurs commerciaux, les producteurs français sont aussi frappés de plein fouet par une baisse de la consommation – en chute de 70 % depuis les années 1960, selon le Comité national des interprofessions des vins – et les aléas du dérèglement climatique. « Donald Trump s’attaque au vin français dans un moment de grande fragilité », constate Sébastien Pla.
« Il faut que l’UE ait le courage d’engager ce bras de fer »
Pour autant, cet élu appelle l’Europe à muscler son jeu. « C’est le seul langage que comprend le président américain. Il faut que l’UE ait le courage d’engager ce bras de fer. Opter pour une réponse graduée en taxant les alcools américains était une bêtise. Il aurait mieux valu annoncer que l’on voulait remettre l’ensemble du système de taxations à plat, et voir derrière comme ça allait réagir. Regardez, les mesures de rétorsions brandies par les Canadiens et les Mexicains l’ont bien fait reculer sur les droits de douane », souligne-t-il.
De son côté, le sénateur Cabanel se veut plus mesuré. « L’Union européenne est fragilisée par le climat géopolitique, Donald Trump le sait très bien, nous ne pouvons pas gagner au jeu de la surenchère. Il faut trouver un accord rapidement », plaide-t-il. « Les excès du président américain auront peut-être le bénéfice de pousser la filière viticole à conquérir de nouveaux marchés pour sécuriser ses ventes à l’avenir », ajoute-t-il. « Pendant des années nous avons préféré nous reposer sur les Etats-Unis et la Chine, plutôt que de viser d’autres pays, ce qui nous aurait obligés à déployer des stratégies commerciales différentes. Mais il y a de vraies opportunités à saisir, notamment en Amérique du Sud et en Afrique. »