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Pourquoi la Cour des comptes étrille la gestion des églises et du patrimoine religieux français à Rome ?

Gestion « approximative », décisions « opaques », « dérives ». Ce lundi, dans un rapport au vitriol, la Cour des comptes dénonce les pratiques de l'administration des « Pieux établissements », une structure qui gère à Rome un patrimoine français immobilier exceptionnel. Le président du groupe d’amitié France-Saint-Siège au Sénat, Dominique de Legge, critique une « caricature de rapport », mais appelle à réformer les règles de fonctionnement des Pieux. 
Steve Jourdin

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Une structure inédite

C’est un petit bout de France en plein cœur de la cité éternelle. Les « Pieux établissements de la France à Rome et à Lorette », structure créée en 1793 en pleine Révolution française, gère un patrimoine impressionnant. Cinq lieux de culte (Saint-Louis-des-Français, Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Claude-des-Bourguignons, Saint-Nicolas-des-Lorrains et la Trinité-des-Monts), 180 biens immobiliers (bureaux, appartements), pour une valeur commerciale estimée à 250 millions d’euros. Et puis, il y a les toiles de maître. Chaque année, les touristes de passage à Rome se pressent ainsi par milliers dans la chapelle Contarelli pour admirer les triptyques du Caravage, chefs d’œuvre absolu du XVIe siècle inspiré de la vie de saint Matthieu.

Placés sous l’autorité de l’ambassade de France, « les Pieux », comme ils sont parfois appelés, ont un fonctionnement inédit. Trois acteurs sont impliqués. « L’Etat français possède les Pieux, mais les établissements sont physiquement situés en Italie, et l’influence spirituelle du Saint-Siège est évident du fait de la présence des églises », explique sous couvert d’anonymat un ancien diplomate en poste dans la cité éternelle. « Le modèle économique est vertueux : les immeubles de rapport, qui sont pour l’essentiel situés à Rome, sont mis en location, ce qui permet d’entretenir le patrimoine ». Restaurer les églises, bichonner les œuvres, tout cela coûte de l’argent. Combien ? Difficile de le dire avec précision : dans son rapport, la Cour des comptes décrit « des budgets imprécis et peu respectés », et même des comptes « à la fiabilité douteuse ».

 

« Des carences nombreuses et manifestes »

Selon un rapport publié lundi, « le manque de professionnalisme et les avantages peu justifiés octroyés à de nombreux locataires » conduisent à de mauvais résultats comptables. Les recettes des Pieux, qui atteignent aujourd’hui les 4,6 millions euros, devraient selon la Cour, être supérieures… de 50 %. Par ailleurs, ni les églises, ni les collections ne sont inscrites au bilan comptable des Pieux, et « aucune estimation de la valeur de ces œuvres n’a été réalisée ». Pas de quoi impressionner ce diplomate. « Quel est le sens d’évaluer le prix d’une église ou une toile du Caravage ? Ils ne vont pas être vendus ni déplacés. On parle d’une organisation caritative, et non d’un patrimoine privé. La Cour des comptes a sa manière bien à elle de voir les choses, mais elle n’a pas perçu le caractère très spécifique des Pieux ».

De fait, les Pieux obéissent à un cadre juridique assez rigide. En 1956, l’ambassadeur de France au Saint-Siège, Wladimir d’Ormesson, fixe les grandes lignes du règlement de la structure. Ce dernier sera approuvé par un bref pontifical de Pie XII, le 8 septembre de la même année. L’affectation de certains biens, comme l’ensemble conventuel de la Trinité-des-Monts, fait quant à eux l’objet d’accords internationaux bilatéraux entre la France et le Saint Siège depuis 1828. « Les auditeurs de la Cour n’ont pas compris que les Pieux ne sont pas un établissement comme les autres. Ils ont une approche strictement comptable des choses », regrette Dominique de Legge, président LR du groupe d’amitié France-Saint-Siège. « On ne peut pas tout lire à l’aune des chiffres et d’une analyse d’expert-comptable. On parle d’une institution qui est intimement liée à notre histoire révolutionnaire, à celle de l’Empire, à celle de l’Etat italien et des relations entre la France et le Vatican ».

L’ambassade de France près le Saint-Siège, qui contrôle l’établissement, et l’actuel administrateur des Pieux établissements, ont déploré les dérives du passé, mais assurent que des réformes ont été lancées en 2021 et que les premiers effets commencent déjà à se faire sentir.  Quid du ministère des affaires étrangères, « informé des dérives depuis plusieurs année et qui n’a pas pris les mesures nécessaires » selon la Cour des comptes ? En off, un fonctionnaire le reconnaît, « les Pieux ne sont pas au cœur des priorités du ministère, qui se contente de répondre occasionnellement aux demandes formulées par l’ambassadeur sur place ».

 

Un établissement public… pour gérer des établissements religieux ?

La Cour formule quinze recommandations pour réformer les Pieux. Outre une professionnalisation de « la gestion budgétaire et comptable » et la mise en œuvre d’une vraie « politique d’attribution des logements et de fixation des loyers », elle propose de transformer ses statuts et envisage la création d’un établissement public. « Quelle originalité ! Proposer de créer un établissement public pour assurer la permanence du culte, dans un pays laïc comme la France », ironise Dominique de Legge. « Les auditeurs de la Cour voient dans les Pieux une simple addition de bâtiments, alors qu’il y a une dimension religieuse qui est incontournable ».

La Cour déplore également une gestion « extracomptable » des comptes bancaires avec « de nombreux paiements en espèces », parfois utilisés pour des rémunérations ou des loyers. Pour lutter contre ces pratiques, elle recommande de rétablir au sein des comptes la comptabilisation de l’intégralité des opérations. « Il arrivait effectivement que des personnes âgées, qui avaient pour habitude de payer leurs loyers en liquide, continuent à le faire, même après la limitation des paiements en espèces. Mais on parle de petits montants… », tente de minimiser un ancien diplomate. Jusqu’en 2017, l’administrateur et le trésorier des Pieux auraient perçu, selon le rapport, des indemnités mensuelles en liquide, versées à partir de comptes secrets. Alimentée à l’origine par la vente d’un des plus beaux immeubles de la piazza Navona, cette « caisse noire », selon les termes de la Cour, a été fermée en 2019. Pour l’heure, les opérations réalisées n’ont fait l’objet d’aucune investigation du ministère.

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