Media Freedom Act : les acteurs de l’audiovisuel s’inquiètent de « l’invisibilisation » des chaînes traditionnelles par les plateformes

Les commissions des affaires européennes et de culture du Sénat auditionnaient, ce jeudi 22 juin, plusieurs représentants de l’audiovisuel Français à propos du projet de règlement européen sur la liberté des médias. Une législation qui soumet les plateformes à de nouvelles obligations afin d’éliminer les distorsions de concurrence avec les médias traditionnels.
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Au lendemain d’un accord trouvé entre Etats membres sur le Media Freedom Act, un texte censé garantir le pluralisme et l’indépendance des médias en Europe, les commissions des affaires européennes et de la culture du Sénat organisaient une table ronde sur le sujet. Les élus s’intéressaient particulièrement aux implications de cette future loi sur le secteur audiovisuel.

Exception à l’interdiction de déployer des logiciels espions dans les appareils utilisés par les journalistes

Le texte, d’application directe dans tous les États membres une fois adopté, prévoit plusieurs mesures pour lutter contre la concentration des médias, pour garantir l’indépendance éditoriale ou la création d’une autorité de régulation des médias. Le projet de loi doit encore faire l’objet de négociations en trilogue (le Parlement, le Conseil et la Commission) après son examen par le Parlement européen.

Mercredi, seules la Pologne et la Hongrie, pays régulièrement épinglés pour la mainmise du pouvoir sur les médias, ont voté contre le texte qui contient des exigences de transparence sur la propriété des médias et sur l’attribution de la publicité d’État.

Le règlement porte aussi sur le respect du secret des sources journalistiques par les gouvernements, et sur l’interdiction de déployer des logiciels espions dans les appareils utilisés par les journalistes. Des pratiques d’espionnage qui ont récemment touché plusieurs pays d’Europe, dont la Hongrie, la Pologne ou la Grèce. Mais par rapport à la proposition initiale présentée par la Commission européenne en septembre, le compromis agréé mercredi élargit les possibilités d’exception et insiste sur la « responsabilité des Etats membres dans la protection de la sécurité nationale ». Des dispositions dénoncées par Reporters sans frontières (RSF) et la La Fédération européenne des journalistes (FEJ)

La table ronde organisée au Sénat portait sur un autre point saillant de la future législation. La meilleure « intégration des plateformes en ligne au regard de la place prépondérante qu’elles occupent dans le marché des médias audiovisuels », a rappelé le député européen Geoffroy Didier, rapporteur du texte.

En effet, le Media Freedom Act, comme le DSA (règlement sur les services numériques) et le DMA (règlement sur les marchés numériques), vise à mieux réguler les plateformes en ligne, qui jusqu’à présent ne sont pas soumises aux mêmes obligations que les médias traditionnels.

« Ces mesures devraient aider à un meilleur fonctionnement du marché intérieur en éliminant des distorsions de concurrence », a rappelé Giuseppe Abbamonte, directeur de la commission européenne en charge des médias.

« Il nous faut être très attentifs au pouvoir discrétionnaire des plateformes à l’égard de contenus en provenance des médias »

Les plateformes seront notamment soumises à une obligation de mise en avant des contenus d’intérêt général. L’utilisateur bénéficiera d’un nouveau droit lui permettant de personnaliser son offre médias sur ses appareils connectés et ainsi pouvoir modifier ses paramètres par défaut. « Aujourd’hui, vous avez des télécommandes avec un bouton d’une entreprise que je ne citerais pas et qui vous incite directement à aller voir le programme de cette plateforme alors que si vous voulez retrouver sur votre smartTV des contenus d’information générale, ça devient un véritable gymkhana, ce qui pose un vrai problème de principe », a fait valoir Geoffroy Didier.

Une autre obligation pour les plateformes en ligne et les moteurs de recherche concerne la modération des contenus fournis par les services de médias. Pour éviter des retraits abusifs de contenus qui ne correspondraient pas à leurs conditions générales d’utilisation, la nouvelle législation européenne prévoit un traitement à part pour les médias. Avant un retrait, la plateforme devra avertir le média de son intention de supprimer ou de restreindre l’accès à ce contenu, et justifier sa décision. Un point de vigilance pour Roch-Olivier Maistre. Le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). « Il nous faut être très attentifs au pouvoir discrétionnaire des plateformes à l’égard de contenus en provenance des médias […] Le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) a proposé que le fournisseur de ce contenu dispose, a minima, d’un délai de réponse à l’égard de la plateforme de 24H avant de pouvoir être suspendu par la plateforme elle-même ».

« Si on n’y prend pas garde, nos opérateurs de télévisions nationaux sont purement et simplement évincés d’un accès spontané à leurs contenus »

Christophe Tardieu, secrétaire général de France Télévisions a salué ces avancées. « Sur beaucoup de ces téléviseurs connectés, c’est extrêmement compliqué de trouver des médias généralistes comme France Télévisions, TF1 ou M6 […] Il y a un risque énorme d’invisibilisation des médias traditionnels », a-t-il alerté.

« Si on n’y prend pas garde, nos opérateurs de télévisions nationaux sont purement et simplement évincés d’un accès spontané à leurs contenus », a appuyé Roch-Olivier Maistre. Le président de l’Arcom a donc rappelé l’importance d’une mesure de la directive SMA (services de médias audiovisuels) transposée en droit français et en cours d’application. Ce texte confie à l’Arcom la mission de mise en avant des services audiovisuels d’intérêt général sur les nouvelles interfaces d’accès aux contenus audiovisuels. La loi relative à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique « dit que le service public, France Télévisions, France Medias Monde, Arte, sont qualifiés automatiquement de services d’intérêt généraux et auront vocation à être mis en avant. Cette liste peut ensuite être étendue à d’autres acteurs s’ils répondent à deux familles de critères : la contribution au pluralisme et la contribution à la diversité culturelle », a-t-il rappelé.

L’Arcom a lancé une consultation aux acteurs de l’audiovisuel pour savoir sous quelles modalités ils souhaitaient être mis en avant, via leurs chaînes ou leurs plateformes de replays. L’Arcom rendra sa décision à l’automne pour une application de ce dispositif à la rentrée 2024.

 

 

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