Le 12 avril dernier, au Festival du Livre de Paris, Emmanuel Macron a fait une annonce qui n’est pas passée inaperçue. Le Président veut voir mise en place une « contribution » sur les ventes de livres d’occasion, pour rétribuer les auteurs et les éditeurs. Proposée par le syndicat national de l’édition (SNE), elle vise à « créer un mécanisme qui organise un retour vers les acteurs de la création », d’après son directeur général Renaud Lefebvre. Ce qui a vite été appelé une taxe n’a pas encore de contours bien définis. Elle pourrait tourner aux alentours de 20 centimes et ne porter que sur les livres d’occasion vendus sur les grandes plateformes du type Leboncoin, Vinted ou Momox.
Contribution sur les livres d’occasion : « Cette annonce pose beaucoup plus de questions qu’elle n’apporte de réponses »
Les modalités plus précises de cette contribution sont toujours attendues, la ministre de la Culture Rachida Dati devait les annoncer avant la fin du Festival, le 14 avril. Mais pour l’instant, le projet est resté en l’état. Le délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF) Guillaume Husson reste prudent : « On ne sait rien de l’assiette, du montant, ni de ce qui en serait fait. Le projet s’inscrit dans un cadre où la filière a du mal à se financer, elle va donc chercher de la ressource en périphérie. Mais cette annonce pose beaucoup plus de questions qu’elle n’apporte de réponses ». Renaud Lefebvre souhaite que le projet avance vite. « Il ne s’agit pas d’aller mettre un péage devant les brocantes ou de doubler les prix des livres d’occasion, mais si l’on ne fait rien, on risque de tarir la création. Pour que le livre d’occasion existe, il faut qu’un livre neuf existe », argumente-t-il.
Le marché des livres d’occasion en pleine expansion
Le sujet a vivement fait réagir dans le secteur, parce que les livres d’occasion sont de plus en plus prisés par les Français. Une étude du ministère de la Culture et de la SOFIA (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit) rendue publique le 10 avril dernier permet de chiffrer l’essor des livres de seconde main. En 2022, ils représentent près de 20 % des livres achetés, la progression du nombre d’exemplaires vendus d’occasion est plus importante que pour les livres neufs. Or, ce sont de grandes plateformes en ligne de vente entre particuliers, comme Vinted, Leboncoin ou eBay et celles de commerce en ligne comme Amazon ou Momox, qui sont le plus prisées par les lecteurs de livres d’occasion. « Les transactions sur internet ont fait exploser le système », regrette Renaud Lefebvre, « le marché de l’occasion marchait très bien avant ». L’occasion n’est pas le cœur de métier des libraires, dont le travail consiste principalement à sélectionner, explique Guillaume Husson. « La part des libraires qui vendent des livres d’occasion est très très minoritaire, cela prend la forme d’opérations braderie, mais c’est un service rendu aux lecteurs. Il n’y a pas d’intérêt économique pour les libraires à faire de l’occasion. Ce n’est pas au cœur du métier ».
Label Emmaüs dénonce une « concurrence déloyale » des grandes plateformes
A l’heure où les auteurs, éditeurs et libraires peinent à se financer, alors que les plateformes d’e-commerce confortent leur position, certains acteurs du secteur dénoncent une « concurrence déloyale » de ces dernières. C’est notamment le cas du site de vente en ligne de seconde main Label Emmaüs. Le 15 avril, sa directrice Maud Sarda a dénoncé la « concurrence déloyale » des grandes plateformes, notamment dans le secteur du livre. Elle déplore des stratégies « délétères » des plateformes comme Amazon, Aliexpress ou Shein, avec des prix tirés vers le bas. C’est également ce que leur reproche Laure Darcos, sénatrice Les Indépendants de l’Essonne. « Cette taxe sur les livres d’occasion se justifie car il faut une rémunération pour les auteurs et les éditeurs, il faut rééquilibrer le marché », affirme-t-elle.
Des frais d’expédition fixes pour atténuer la concurrence des grandes plateformes
Si le sujet est aussi vif, c’est que la concurrence avec les grandes plateformes est intense, depuis longtemps. Déjà en 2021, la bataille avait fait rage sur les frais d’expédition des livres. Alors que cela coûte en moyenne 8 € d’expédier par la poste un livre pour un libraire (estimation du SLF), les plateformes comme Amazon ou la Fnac proposaient la livraison pour 1 centime. Une proposition de loi de Laure Darcos a alors été adoptée. Appliquée à partir d’octobre 2023, elle fixe un tarif unique d’expédition des livres à 3 €. Amazon, très opposé au projet, a déposé un recours devant le Conseil d’Etat. L’entreprise y voit une mesure pénalisante pour les lecteurs habitant des zones dépourvues de point de vente de livres. Un de ses porte-parole, au moment de l’entrée en application de la loi, fustigeait une mesure qui « contraint de nombreux Français à renoncer à certains de leurs achats de livres ou à supporter des coûts supplémentaires, en particulier dans les territoires dépourvus de librairies, c’est-à-dire dans plus de 90 % des communes du pays ». Un argumentaire que rejette Guillaume Husson. « L’écrasante majorité des livraisons de livres est opérée auprès de citadins », explique-t-il, « La France est le pays avec le réseau de librairies le plus dense au monde, avec 3 800 librairies ». Le délégué général du SLF regrette, lui, que le tarif ne soit fixé qu’à 3 €.
Et les lecteurs dans tout ça ?
De la contribution sur les livres d’occasion à l’instauration de tarifs fixes d’expédition des livres, cela ne risque-t-il pas de pénaliser les lecteurs, dans une période d’inflation ? Alors que le marché du livre voit depuis 2022 le contrecoup de la hausse exceptionnelle de ventes pendant le covid, augmenter les prix est-il une solution ? Les livres vendus ont chuté de 7,7 % en 2022 par rapport à 2021, d’après le SNE. Or, d’après l’enquête de la SOFIA, si les Français se tournent vers les livres d’occasion, c’est avant tout une question de prix, les considérations écologiques n’intervenant presque pas dans ce choix. « Ce sont les CSP + qui achètent des livres d’occasion, pas les personnes les plus défavorisées », argumente Renaud Lefebvre, « et puis 15 à 20 centimes par exemplaire ce n’est pas dissuasif ».
« Le problème, c’est que tout un pan de la population ne lit pas », regrette Laure Darcos, « et le prix n’est qu’en neuvième position dans les freins à la lecture ». Le baromètre 2023 du Centre National du Livre place en neuvième position le prix, après la préférence pour d’autres loisirs, le manque de temps et la lecture d’autres supports, dans les raisons pour lesquelles les non-lecteurs ne lisent pas. La même étude établit que 20 % des 15-24 ans et 19 % des hommes déclarent ne pas lire du tout, contre 14 % de la population générale. Pour augmenter le nombre de lecteurs, la sénatrice préconise donc de poursuivre les politiques rendant la lecture accessible à tous, comme le quart d’heure de lecture à l’école ou encore le réseau de médiathèques et de bibliothèques dans les communes.