Audiovisuel public : que contient le texte adopté par le Sénat ?

La majorité sénatoriale LR-centristes a adopté la proposition de loi de Laurent Lafon qui prévoit la création d’une holding rassemblant l’audiovisuel public, ainsi que le plafonnement de la publicité pour le public. La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, s’est opposé à la holding, estimant qu’« un grand mécano institutionnel », n’est « ni nécessaire, ni prioritaire ». Une position qui pourrait empêcher le texte d’aller au bout de son parcours parlementaire.
François Vignal

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C’est un sujet sur lequel le Sénat avait commencé à plancher dès 2015. Le rapport des sénateurs Pierre Leleux (LR) et André Gattolin (Renaissance) préconisait, déjà, la création d’un holding de l’audiovisuel public. L’idée a cheminé. Elle est aujourd’hui reprise dans la proposition de loi (PPL) du sénateur centriste, Laurent Lafon. Elle a été adoptée par la Haute assemblée, ce mardi.

  • Une holding rassemblant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA

Le texte du président UDI de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication prévoit en effet la création d’une holding, appelée « France Médias ». Elle chapoterait France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (RFI et France 24) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA). L’ambition est de renforcer l’ensemble, tout en définissant une stratégie globale, arrêtée dans une « convention stratégique pluriannuelle » (CSP), qui remplacera les COM (contrat d’objectif et de moyens).

Un objectif moins révolutionnaire que la fusion, qu’avaient préconisée dans un rapport de 2022 les sénateurs LR Jean-Raymond Hugonet, aujourd’hui rapporteur du texte, et son collègue Roger Karoutchi. Mais « ne pas bouger, ce n’est pas possible », prévient ce dernier. Le sénateur LR des Hauts-de-Seine a prédit, lors de la discussion générale, que « dans les années qui viennent, le système ne tiendra pas ». Regardez :

Malgré le vote du Sénat, le texte a peu de chance de perdurer et d’aller au bout. Car il faudrait déjà qu’il soit inscrit à l’Assemblée, puis éventuellement adopté, dans les mêmes termes ou pas. « Madame la ministre, je pense qu’en réalité, vous allez veiller soigneusement à ce que son parcours parlementaire s’arrête au Sénat », a lancé Roger Karoutchi, sous les yeux de Rima Abdul-Malak.

En effet. La ministre de la Culture n’a pas caché son opposition à toute idée de holding. Et ce bien que son prédécesseur, Franck Riester, ait défendu le principe de la holding en 2020. Le texte a même été adopté en commission par les députés, avant d’être stoppé net par la crise du covid-19. Du moins officiellement. Car les plans de l’exécutif ont aujourd’hui changé.

A la holding, la ministre préfère plutôt des « coopérations par projet » entre les différentes entités. « Les coopérations ne sont pas une fin en soi. Et leur succès dépend avant tout de la clarté des objectifs poursuivis », précise la ministre, mais « un grand mécano institutionnel ne m’apparaît ni nécessaire, ni prioritaire », a soutenu Rima Abdul-Malak lundi soir, dès l’ouverture des débats. La holding « induirait une complexification des processus et des coûts supplémentaires. Cette couche en plus pourrait ralentir l’élan engagé en matière de coopération », a-t-elle mis en garde, « c’est retarder, il me semble, des projets indispensables. C’est mobiliser l’énergie des entreprises sur des réorganisations de structures au détriment des priorités urgentes », a continué la ministre (voir la vidéo ci-dessous). Fermez le ban.

« Si j’étais taquin, je dirais que la majorité présidentielle a voulu la holding, la majorité sénatoriale l’a fait », a lancé Laurent Lafon juste après l’adoption du texte (voir la première vidéo).

A gauche, le socialiste David Assouline n’a pas caché tout le mal qu’il pense également de la holding, qui risque « d’affaiblir » le service public, selon le sénateur de Paris. « A l’heure où la concentration des médias continue, et que pour l’essentiel, ils sont détenus par neuf milliardaires, que le groupe Bolloré franchit un nouveau cap dans la prédation et la mise au pas des médias, avec la touche finale dans l’accusation du groupe Lagardère, donc l’édition, Paris Match, le JDD, Europe 1, restructurés pour servir une ligne idéologique trumpiste à la française, vous, la droite sénatoriale, vous avez choisi de montrer du doigt le service public de l’audiovisuel », dénonce à la tribune David Assouline, qui avait été rapporteur de la commission d’enquête sur la concentration des médias. Regardez :

  • Plafonnement de la publicité sur l’audiovisuel public

L’article 5 du texte a suscité des débats nourris. Il crée non seulement la convention stratégique pluriannuelle, mais prévoit aussi de limiter la publicité dans l’audiovisuel public. En commission, les sénateurs ont adopté un amendement du rapporteur Jean-Raymont Hugonet qui prévoit ainsi de plafonner, pour les antennes comme pour les supports digitaux, la part des recettes publicitaires de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, en fonction de leurs ressources publiques. Dans l’idéal, le sénateur a pour objectif la suppression totale de la pub’. Mais il voit déjà ce plafonnement comme une première étape plus consensuelle, moins « irritante ».

De son côté, la sénatrice communiste Céline Brulin défend sur le fond la fin de la publicité, à condition d’avoir « d’autres recettes ». Mais dans l’immédiat, elle pense que cette limitation « aggrave la concurrence déloyale avec le privé ». Jean-Raymond Hugonet estime au contraire que ce plafond permettrait d’« éviter la dérive en cours » car « l’audiovisuel semble incapable de renouveler ses ressources ».

Actuellement, l’interdiction de la publicité après 20 heures sur France Télévisions est contournée par l’usage des partenariats. A noter que du côté de l’Assemblée, on réfléchit aussi au sujet. Les députés Jean-Jacques Gaultier (LR) et Quentin Bataillon (Renaissance) viennent de défendre dans un rapport la suppression totale de la publicité après 20 heures.

  • Débat sur la question cruciale du mode de financement, suite à la fin de la redevance

Depuis la suppression de la redevance l’été dernier, une promesse d’Emmanuel Macron, l’audiovisuel public reçoit une part de TVA. Du moins jusqu’en 2024. Et après ? C’est tout le débat. Certains défendent l’idée de continuer avec la TVA, quand d’autres veulent créer un impôt propre, une nouvelle taxe. On pourrait peut-être l’appeler redevance… A moins de dépendre du budget de l’Etat, mais avec le risque de variation, d’une année à l’autre ? On le voit, le sujet n’est pas simple.

Le texte sénatorial soutient que le financement de France Médias « devait être constitué par une ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l’inflation », dit le rapport de la commission, mais sans se prononcer davantage. En séance, des divergences sont apparues, au sein même de la majorité sénatoriale. Une bonne partie des sénateurs LR a mis en garde, par un amendement dont le premier signataire est Roger Karoutchi, sur les difficultés d’affecter une partie de la TVA, préférant « la solution d’une budgétisation, assortie de conditions visant à garantir un niveau de revenus dans le cadre d’une perspective pluriannuelle, (qui) apparaît la plus raisonnable ».

Rappelant que le groupe centriste avait voté contre, l’été dernier, « la suppression à l’aveugle de la redevance », la sénatrice Catherine Morin-Desailly, ancienne présidente de la commission de la culture, a soutenu que « la première condition de l’indépendance de l’audiovisuel public, ce sont bien ses ressources. (…) La redevance, renommée contribution à l’audiovisuel public en 2009, est bien une participation des citoyens au financement d’un service dont ils bénéficient directement. Nous devrions débattre de cette dimension ». Des propos soutenus par le socialiste David Assouline. « Madame la ministre, vous sous-estimez à quel point le mode de financement est lié à l’indépendance de l’audiovisuel public », lance le sénateur PS de Paris, qui met en garde :

 La budgétisation est la pire des solutions, c'est Bercy qui donnera le la ! 

David Assouline, sénateur PS de Paris

« Ceux qui espèrent que la pérennisation d’une fraction de TVA sera acquise risquent d’être déçus : elle ne semble pas faire l’unanimité au sein de la majorité sénatoriale » n’a pu que constater Laurent Lafon, qui ajoute : « La budgétisation, si je ne l’approuve pas, reste un scénario envisageable – voilà une autre leçon de cet amendement de M. Karoutchi, qu’il ne faut pas minimiser ».

Et que dit la ministre ? « L’audiovisuel public doit bénéficier d’une ressource suffisante et prévisible pour accomplir ses missions. Le débat sur le financement pérenne aura lieu en loi de finances », renvoie Rima Abdul-Malak, selon qui « le mode de financement est important pour la visibilité, mais il ne garantit pas l’indépendance ».

  • Revente d’une chaîne TNT possible au bout de 2 ans voire moins

Si les débats ont surtout concerné le public, la proposition de loi se penche aussi sur le secteur privé. Notamment concernant la TNT et ses propriétaires. Dans le but de lutter contre la spéculation sur les fréquences de la TNT, après la revente de la chaîne 23, le gouvernement avait décidé d’interdire la revente de chaînes dans un délai de 5 ans, après un changement de contrôle. Les sénateurs de la majorité sénatoriale y ont vu un frein pour l’investissement. La proposition de loi de Laurent Lafon prévoit ainsi de réduire ce délai à 2 ans, histoire de faciliter les reventes.

En commission, les sénateurs sont allés plus loin en adoptant un amendement de Jean-Raymond Hugonet qui prévoit que le délai de deux ans ne s’applique pas si l’Arcom estime que la modification de contrôle ne porte pas atteinte « à l’impératif fondamental de pluralisme et à l’intérêt du public et qu’elle n’a pas un objectif manifestement spéculatif ».

Cette volonté de ramener le seuil, de manière générale, à 2 ans, est critiquée par le socialiste David Assouline, « alors que c’est la décision du Sénat, sur ma proposition, soutenue par Catherine Morin-Desailly, qui l’avait porté à 5 ans, pour éviter les reventes spéculatives », rappelle le sénateur. « Voilà encore un cadeau manifeste au privé », dénonce le socialiste. La sénatrice EELV Monique de Marco pense que ce changement vise « un seul objectif : adapter la loi a des situations particulières et à permettre d’accélérer, par exemple, le calendrier de vente de M6 ».

  • Chaînes privées : une troisième coupure pub’ autorisée pour les films de plus de deux heures

Les chaînes privées ont actuellement droit à deux coupures pub’, lors de la diffusion d’un film. Jean-Raymond Hugonet a fait porter ce chiffre à trois coupures publicitaires, qui seraient autorisées pour les films de plus de deux heures. Un assouplissement critiqué, de nouveau, par David Assouline, qui s’est exclamé : « Et encore un cadeau au privé ! »

« C’est probablement ma dernière intervention sur une loi audiovisuelle dans cet hémicycle. Depuis 19 ans, je me bats pour cette liberté, cette indépendance des médias, pour la place du service public. Ma principale fierté est d’avoir, lors de la révision constitutionnelle de Nicolas Sarkozy, introduit à l’article 34 la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias dans la Constitution », a rappelé au terme des débats le sénateur, qui ne se représente pas lors des sénatoriales de septembre prochain. Et de conclure : « J’espère que dans cet hémicycle, on continuera à porter haut le service public et cette exigence de liberté des médias ».

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