L’examen de la proposition de loi LR visant à durcir le droit du sol à Mayotte avait créé un net antagonisme dans l’hémicycle. Pour mémoire, ce texte durcit les conditions de l’obtention de la nationalité française par le droit du sol dans ce département. Pour les enfants nés à Mayotte, ce droit est conditionné à la résidence régulière sur le sol français, au moment de la naissance, des deux parents, sauf en cas de famille monoparentale, depuis un an et non plus trois mois comme c’est le cas actuellement.
Pour la gauche des deux hémicycles, le texte constitue une première étape à une remise en cause du droit du sol au niveau national et ainsi « rendre acceptable la remise en cause d’un fondement de la République », comme l’avait dénoncé la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel, dans l’hémicycle.
3 saisines
Une semaine après l’adoption de la proposition de loi, trois saisines sont arrivées sur le bureau du Conseil constitutionnel. La première a été déposée, le 10 avril, par le groupe La France insoumise (LFI) de l’Assemblée nationale. Le 14 avril, c’était au tour des députés PS et écologistes.
La troisième est l’œuvre des trois groupes de gauche du Sénat, PS, écologiste et communiste. Dans un communiqué commun, ils dénoncent « une rupture caractérisée du principe d’égalité » et « une discrimination fondée sur l’origine nationale ». « L’article unique de cette loi déroge aux règles générales d’acquisition de la nationalité française, en instaurant, pour le seul territoire de Mayotte, un régime d’exception attentoire aux principes républicains. En remettant en cause, une nouvelle fois, le droit du sol, ce texte porte atteinte au principe d’égalité devant la loi, en instaurant une différenciation injustifiée et disproportionnée entre les enfants nés à Mayotte et ceux nés dans le reste du territoire national », peut-on encore lire.
Une première dérogation jugée conforme par le Conseil constitutionnel
En effet, une première dérogation au droit du sol existait déjà à Mayotte avant cette proposition de loi. Elle avait été votée dans le cadre d’un projet de loi sur l’immigration en 2018. Des députés et sénateurs socialistes, avaient, à cette époque, déjà saisi le Conseil constitutionnel estimant que cette dérogation portait atteinte au principe d’indivisibilité de la République et au principe d’égalité. Dans sa décision du 6 septembre 2018, le Conseil l’avait jugé conforme à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme sur l’égalité devant la loi, même si le texte instaurait une condition supplémentaire, spécifique à Mayotte, pour l’acquisition de la nationalité. Les Sages avaient considéré que la dérogation était conforme à l’article 73 de la Constitution qui porte sur les départements et les régions d’outre-mer, lesquelles « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Mais comme le note Julien Bonnet, professeur de droit public à l’Université de Montpellier, le durcissement du droit du sol est cette fois-ci « considérable ». « Outre le fait de passer de 3 mois à un an pour la condition de résidence régulière, le texte instaure une nouvelle obligation pour le parent qui doit présenter un passeport biométrique à l’officier d’état civil. Cela va conduire à établir une différence de traitement selon le pays d’origine des parents, car certains pays ne délivrent pas de passeport biométrique. C’est ce que j’avais dit au rapporteur lors de mon audition au Sénat », relate-t-il.
Le rapporteur LR, Stéphane Le Rudulier avait d’ailleurs pris en compte cet avis puisque la commission des lois avait supprimé cette obligation estimant qu’elle pouvait causer « une discrimination selon l’origine ou la nationalité ». Cette obligation a été restaurée par la commission mixte paritaire »
« L’article 73 de la Constitution autorise des adaptations législatives dans les départements et régions d’Outre-mer, mais dans une certaine mesure, et de manière proportionnée. Le Conseil constitutionnel va aussi vérifier l’adéquation entre l’objectif poursuivi par le législateur et les moyens engagés. Or, depuis, 7 ans, date de la première limitation du droit du sol à Mayotte, l’immigration n’a pas baissé à Mayotte », rappelle Julien Bonnet.
Principe fondamental reconnu par les lois de la République
« Nous le savons, cette proposition de loi, à elle seule, ne permettra pas de réduire la pression migratoire », avait reconnu Stéphane Le Rudulier dans l’hémicycle, appelant de ses vœux une « réponse globale », avec la mise en place d’un rideau de fer et d’une politique de coopération entre Mayotte et les Comores, ou encore le durcissement des conditions d’obtention des titres de séjour.
L’enjeu de la décision du Conseil constitutionnel est aussi la possible consécration du droit du sol en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR). Il s’agit de règles à l’origine législative ancienne, jamais remises en cause et énoncées dans le préambule de 1946 donc à valeur constitutionnelle. Des principes qui touchent aux droits et libertés à la souveraineté nationale ou encore à l’organisation des pouvoirs publics.
A la tribune du Sénat, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin avait confié vouloir aller « au-delà » de ce nouveau durcissement de la condition d’accès à la nationalité sur le département. « Mais il nous faut respecter pour l’instant notre cadre constitutionnel en attendant d’avoir la majorité politique pour le réformer. Nul doute que ce débat aura lieu lors de la prochaine élection présidentielle », avait-il considéré.
Le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur l’ensemble de ces saisines, au plus tard le 10 mai.