Retraites, fiscalité, main d’œuvre d’étrangère, coût du programme : Jordan Bardella face aux inquiétudes du patronat

Le candidat du Rassemblement nationale, avec la présence non-annoncée d’Éric Ciotti, s’est présenté devant les organisations patronales comme le représentant de la « raison budgétaire ». Mais à en juger par la teneur des questions ce jeudi, son programme laisse sceptique les dirigeants.
Guillaume Jacquot

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« J’ai compris en venant ici qu’il fallait que je rassure les milieux économiques. » Lorsqu’il prend la parole ce 20 juin dans la matinée face à une assemblée de dirigeants d’entreprises et d’entrepreneurs, le président du Rassemblement national sait qu’il n’est pas en terre conquise. Quelques heures auparavant, le président du Medef, Patrick Martin renvoyait dos à dos les programmes du Rassemblement national et celui du Nouveau Front populaire en les qualifiant de « dangereux pour l’économie ». « Ça fait plaisir », rit jaune l’eurodéputé.

Dans la salle Gaveau, haut lieu des concerts classiques dans la capitale, le patron du RN n’est pas venu se produire en soliste. Il s’affiche pour la première fois avec Éric Ciotti, le président des Républicains en disgrâce dans son ancienne famille. Sa venue n’avait pas été annoncée. S’affichant promoteur de la « liberté économique » et défenseur des entreprises, le député des Alpes-Maritimes n’a pas non plus apprécié d’avoir été placé sur le même plan que la coalition de gauche par Patrick Martin. « Nous n’avons pas la même vision du pays, nous ne portons pas les mêmes menaces. Nous avons une ambition, c’est redresser la France », clame Éric Ciotti.

Proposant un « deal gagnant-gagnant » avec les entreprises, Jordan Bardella se présente comme une « alternance raisonnable et une rupture responsable », en opposition à « ceux qui vous promettent le grand soir fiscal et le Venezuela sans le pétrole ».

Explication confuse sur le second temps de sa réforme des retraites

Parmi les nombreux points sur lesquels il était attendu : la réforme des retraites. Interpellé par Xavier Horent, délégué général de Mobilians, qui a fait part de sa « perplexité » après une première présentation, le candidat RN a dû présenter ses intentions, après avoir affirmé que la réforme d’Emmanuel Macron, avec le passage de l’âge légal de 62 à 64 ans était « injuste et socialement coûteuse sur le plan économique ». Il a dénoncé les « coûts cachés » de celle-ci, citant le taux de chômage des sexagénaires. Une fois cette position évacuée, Jordan Bardella a répété sa volonté de vouloir abaisser l’âge légal de départ à 60 ans pour les salariés qui ont commencé à travailler avant 20 ans, et qui ont cotisé durant 40 ans. « Au-delà, il y a une progressivité, et c’est normal qu’il y ait une progressivité. Cette progressivité sera aussi déterminée par les marges de manœuvre budgétaires qui me seront données par l’audit [des finances publiques]. »

Et d’ajouter : « Nous visons 62 ans, c’était le projet présidentiel de Marine Le Pen mais je veux, et c’est ma priorité, que la France du travail et la France des classes populaires, puissent partir plus tôt à la retraite et je ne reculerai pas sur ce point. »

Relancé une nouvelle fois, le candidat affirme dans une explication confuse que l’âge légal ne restera pas à 64 ans : « Comprenez bien qu’avant de vous donner un calendrier, je veux d’abord avoir connaissance des marges budgétaires qui seront en ma possession donc je ne vais pas vous vendre des choses que je ne pourrai pas faire. »

Quant à la « réalité démographique » évoquée par Xavier Horent, Jordan Bardella martèle qu’il ne « décalera pas l’âge légal de départ à la retraite ». De son côté, Éric Ciotti prétend que l’enjeu ne se pose pas à court terme. « Bien sûr je n’ignore pas la situation et l’évolution démographique et les grands équilibres. Il y aura une réponse à moyen terme à apporter, mais par rapport à la dérive des finances publiques, ce n’est pas l’enjeu 2024-2025. »

Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, qui succédera à Jordan Bardella et Éric Ciotti, ne manquera pas de commenter la séquence. « Si quelqu’un a compris ce que le couple improbable a dit, je veux bien que vous me l’expliquiez parce que moi je n’ai rien compris ! »

Questionné sur le coût de son programme, le RN détourne le sujet sur le bilan budgétaire du gouvernement

Questionné sur les points de son programme repoussés à plus tard dans le temps, Jordan Bardella le répète : l’audit budgétaire qu’il veut lancer en cas de victoire est « fondamental ». « Tous les chiffres sont sur la table », rétorque la journaliste Hedwige Chevrillon, en charge de l’animation du débat. Ce que conteste Jordan Bardella. « Les chiffres ne sont pas sur la table. Les chiffres de la Sécurité sociale ne sont pas certifiés ». En réalité, seule la branche famille n’a pas été certifiée en mai par la Cour des comptes. « Évidemment, dans les mesures que nous sommes amenés à prendre, il faut prendre en compte l’état budgétaire du pays […] Il y a aura un étalement des mesures que nous portons », se justifie Jordan Bardella.

Le scénario financier du RN, qui ambitionne de « revenir à la raison budgétaire » interroge toutefois dans l’auditoire de chefs d’entreprise. Laurent Giovachini, président de la Fédération Syntec, évoque les « plus de 100 milliards d’euros » de dépenses supplémentaires et demande alors comment l’aspirant à Matignon compte boucler son programme. Dénonçant un chiffre « sorti du chapeau du gouvernement », l’eurodéputé déplace les critiques sur le sérieux budgétaire en direction de l’actuelle majorité, comme les responsables du Nouveau Front populaire avant lui. « Quand on a fait 300 milliards d’euros de dette en deux ans, c’est assez savoureux. » « Pas de leçons de ceux qui ont dépensé sans compter », renchérit Éric Ciotti.

Jordan Bardella défend la poursuite de la baisse des impôts de production

Au chapitre des économies à faire dans les dépenses de l’État, Jordan Bardella appelle à « regarder » du côté des « niches fiscales qui sont attribuées à des grosses entreprises qui font de très gros profits », mais aussi le coût de la décentralisation et de la « multiplication des agences publiques ». Ce deuxième axe sur les agences d’État a été longuement mis en avant par les parlementaires LR à l’automne dernier. Le leader du RN évoque aussi sans surprise l’immigration, comme vivier d’économies, ainsi que la demande d’une baisse de la contribution de la France au budget de l’Union européenne, sans expliquer comment parvenir dans le même temps au maintien du budget alloué à la France dans le cadre de la politique agricole commune. « On peut dégager raisonnablement deux à trois milliards d’euros sur cette contribution [de la France à l’UE] », assure-t-il.

En matière de recettes, Jordan Bardella plaide comme Bruno Le Maire pour une « stabilité fiscale » et fait part de sa volonté de « poursuivre le réalignement de compétitivité engagé avec la baisse des impôts de production », promettant de supprimer intégralement la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) « d’ici à 2027 » et d’engager « progressivement » le chantier de la fin de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).

Concernant les salaires, le candidat du Rassemblement national veut maintenir la défiscalisation des heures supplémentaires, et propose aux chefs d’entreprise « qui en ont la possibilité » d’augmenter leurs salariés de 10 %, moyennant des exonérations de cotisations patronales, pour les salaires inférieurs à trois fois le Smic. Une façon de ne pas « menacer la prospérité des entreprises », selon lui.

Métiers en tension : Jordan Bardella et Éric Ciotti opposés à la solution de l’immigration

La branche des entreprises alimentaires et de l’hôtellerie-restauration de l’U2P (Union des entreprises de proximité) a sondé, quant à elle, le duo de « l’alliance des droites » sur l’enjeu des tensions de recrutement. Pour Véronique Langlais (Confédération générale de l’alimentation en détail), si beaucoup de très petites entreprises du secteur peuvent « tenir la route » c’est grâce aux travailleurs immigrés, devenus des « pièces maîtresse » de cette économie.

Éric Ciotti y a vu une répétition des débats de l’hiver dernier sur la loi immigration. « Je ne participerai pas à cette idée qu’on peut justifier l’immigration supplémentaire nouvelle par une faiblesse de l’offre d’emplois dans des secteurs en tension », rétorque-t-il, dénonçant une « solution de facilité ». S’il accepte un volet « qualitatif » avec d’entrée de médecins, il considère qu’il est préférable d’avoir des « réponses nationales » au niveau « quantitatif », dans le bâtiment par exemple. « Pas de régularisation d’étrangers en situation irrégulière. Je suis opposé à ce principe car il est sans fin. C’est un appel d’air pour des filières d’immigration considérable », ajoute Jordan Bardella. Avant de rappeler son autre volonté : un étranger sans emploi depuis six mois, devra être « amené à repartir dans son pays d’origine ».

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