Deux mois après Nicolas Sarkozy, son ancien trésorier Eric Woerth a été mis en examen à son tour mardi par les juges, qui enquêtent sur les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle victorieuse de 2007.
Les ennuis judiciaires rattrapent l'ex-ministre de droite, qui était revenu au premier plan après avoir été blanchi par la justice dans l'affaire Bettencourt et celle de l'hippodrome de Compiègne après cinq années de combats.
"Nous lui réaffirmons notre confiance ainsi que notre amitié alors qu'il clame son innocence", a réagi dans un communiqué son parti, Les Républicains (LR, ex-UMP).
Convoqué mardi matin chez les juges du pôle financier du tribunal de Paris, l'actuel président de la commission des finances de l'Assemblée nationale s'est vu notifier sa mise en examen pour "complicité de financement illégal de campagne" en tant que trésorier à l'époque, a annoncé à l'AFP son avocat.
En cause? L'"ampleur de la circulation d'espèces" au QG de campagne de Nicolas Sarkozy, que la police anticorruption de l'Oclciff avait pointé du doigt dans un rapport de septembre 2017.
Peu satisfaits des justifications avancées, les trois juges, Serge Tournaire à leur tête, font un lien entre ces sommes en liquide et celles qui auraient été versées au camp Sarkozy par le régime de Khadafi, comme l'affirment d'anciens dignitaires libyens et le sulfureux intermédiaire Ziad Takieddine.
En novembre 2016, M. Takieddine, lui-même poursuivi dans ce dossier, avait affirmé avoir remis, entre fin 2006 et début 2007, cinq millions d'euros à M. Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, et à Claude Guéant, son directeur de cabinet à l'époque.
Ces accusations ont valu à M. Sarkozy une garde à vue retentissante, conclue par sa mise en examen, le 21 mars pour "corruption passive", "financement illégal de campagne électorale" et "recel de détournement de fonds publics libyens". Mais l'ancien président a toujours vigoureusement contesté avoir reçu des fonds de Kadhafi, chassé du pouvoir et tué en 2011.
Claude Guéant est lui aussi mis en examen dans cette affaire tentaculaire, dont ce nouvel épisode intervient le jour d'une conférence internationale à Paris pour tenter de sortir la Libye du chaos.
Quant à Eric Woerth, sa mise en cause "se fonde sur l'identification de sommes en espèces, très faibles pour ne pas dire dérisoires au regard du coût d'une campagne présidentielle", a commenté Me Jean-Yves Leborgne.
Selon l'avocat, l'ancien ministre du Budget se voit reprocher "moins de 4.000 euros" de remboursements aux collaborateurs pendant la campagne et des gratifications "de l'ordre de 7.000 euros" versées après l'élection.
Interrogés l'an dernier par les enquêteurs, Eric Woerth et Vincent Talvas, son trésorier adjoint, avaient répondu que l'argent provenait de dons anonymes déposés à l'accueil de l'UMP ou du QG de campagne, voire envoyés par courrier, pour un montant global compris entre 30.000 et 35.000 euros.
Une explication jugée "captieuse" par les policiers et démentie par certains témoignages des anciens employés concernés.
- Prescription -
Les déclarations des deux hommes allaient aussi à l'encontre de leurs propos tenus dans l'affaire Bettencourt, procédure dans laquelle ils avaient contesté toute circulation d'espèces pendant la campagne présidentielle 2007.
Eric Woerth "affirme avec vigueur – ce que le dossier ne contredit pas - qu'il n'a rien à voir avec +l'affaire libyenne+", affirme Me Leborgne.
Invoquant la jurisprudence, l'avocat assure que les gratifications post-élection ne font "pas partie des frais de campagne" et souligne que, dans le cadre de l'affaire Bettencourt, le parquet de Bordeaux avait estimé les éventuelles infractions prescrites.
Ouvertes en 2013, les investigations sur la campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy ont suivi les révélations de Médiapart un an plus tôt, qui avait fait état d'une note attribuée à l'ex-chef des services secrets extérieurs libyens. Si les investigations ont permis de recueillir plusieurs témoignages, elles se heurtent toutefois à l'absence de preuves formelles.
Mais les juges espèrent encore entendre deux personnages clés de l'affaire: l'ancien grand argentier de Mouammar Kadhafi, Bachir Saleh, réfugié en Afrique du Sud où il a fait valoir son droit au silence, et l'homme d'affaires Alexandre Djouhri. Ce dernier, arrêté à Londres en janvier, fait l'objet d'une procédure d'extradition.