C’est un documentaire qui relate votre histoire personnelle mais qui aborde une problématique générale quant aux maladies psychiatriques. Avez-vous choisi de partager cette expérience parce que vous la saviez « atypique » ?
Hélène Risser : Ce que je trouvais intéressant c’était de questionner le regard sur la maladie mentale. Quand je parlais de mon enfance ça faisait réagir mais je ne voulais pas parler de mon enfance simplement pour raconter une histoire personnelle. Je voulais questionner la façon dont on traite les patients, les évolutions au gré des différentes époques.
Est-ce que la période d’ouverture des années soixante-dix a permis à ces malades d’être plus acceptés par la société ?
H. R. : Je ne pense pas que ce qui s’est passé dans les années soixante-dix conditionne le regard d’aujourd’hui. Cette époque se voulait très humaniste et aujourd’hui notre vision de la maladie mentale est assez schizophrénique : on cherche à limiter les risques pour la société tout en critiquant les mesures d’enfermement. Je voulais nuancer ces visions caricaturales et expliquer que par définition ces maladies comportent des inconnues que les procédures ne peuvent parfaitement réglementer. Je ne voulais pas seulement insister sur la négativité : c’est une matière humaine qui peut révéler d’excellentes surprises.
Vous montrez dans votre documentaire le fossé entre les anciens bâtiments abandonnés de l'hôpital et ceux modernes, plutôt « carcéraux ». Que révèlent ces nouvelles constructions sur la psychiatrie aujourd’hui ?
H. R. : L’architecture dit beaucoup. Le bâtiment inauguré en 2014 pose question puisqu’il a peu d’espaces communs et sa conception n’est peut-être pas adaptée à l’évolution de la psychiatrie. On a construit des bâtiments qui ressemblent à des hôpitaux mais je ne suis pas sûre qu’un hôpital psychiatrique soit un hôpital comme les autres. On y reste plus longtemps, on y fait des activités, c’est un lieu de vie. Quand je vois ces anciens bâtiments (qui apparaissent au début du documentaire), je me dis qu’on pourrait en faire quelque chose de plus chaleureux et de plus humain.
Si Erica n’avait pas rencontré vos parents – qui l’accompagnent encore aujourd’hui et qui lui ont permis de vivre dans « le monde normal », aurait-elle évolué différemment ?
H. R. : Il y a eu à l’époque de mes parents, dans les années soixante-dix, un mouvement d’ouverture. La mise en place de l’allocation pour les handicapés par exemple a permis à un certain nombre de gens qui étaient à « l’asile » d’en sortir. En travaillant chez nous, avec des parents spécialistes du sujet et un cadre particulièrement attentif, cela l’a énormément aidée. D’ailleurs, lorsqu’elle a arrêté de travailler chez nous, elle n’a jamais retrouvé de travail et a vécu avec une pension d’invalidité et ses droits à la retraite.
Qu’est-ce que grandir avec une nounou comme Erica vous a apporté ?
H. R. : Erica n’était pas là pour faire respecter la norme et elle n’incarnait pas un rôle d’éducation. Nous n’étions pas dans un rapport d’autorité avec elle et cela nous apportait un sentiment de liberté.
Plus généralement, vivre dans un hôpital m’a permis de ne pas forcément mettre des gens dans des cases puisque la psychiatrie recouvre des cas très divers. Il y a toujours quelques cas dangereux mais il y a des gens qui sont là pour dépression, pour burn-out ou pour schizophrénie. On croisait une palette de gens extrêmement variés. La maladie mentale n’est pas un stéréotype et cela nous encourageait à essayer de les comprendre sans les catégoriser comme normaux ou anormaux.
Propos recueillis par Jeanne Paturaud