« L’honnêteté me conduit à vous dire que je ne vois pas une solution diplomatique dans les prochaines heures ou les tout prochains jours. » En marge de la réunion des chefs d’Etat de l’Union européenne à Versailles, jeudi et vendredi, Emmanuel Macron n’a pas masqué son pessimisme quant à une amélioration de la situation en Ukraine. Les 27 ont promis de soutenir Kiev, qui a formulé une demande d’adhésion expresse à l’UE, sur « son chemin européen » mais enjoignent la Commission à respecter les « dispositions des traités ».
Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’offensive russe a poursuivi son avancée, un peu plus à l’ouest du pays, avec des frappes contre les villes de Dnipro, Loutsk et Ivano-Frankivsk. En parallèle, l’assaut se poursuit contre Kiev, Kharkiv et Marioupol, où le bombardement d’un hôpital pédiatrique mercredi a poussé le chef de la diplomatie de l’UE à accuser la Russie de « crime de guerre ». Dans le même temps, Moscou a demandé une réunion d’urgence ce vendredi du Conseil de sécurité de l’ONU sur la fabrication supposée d’armes biologiques en Ukraine.
Deux millions de personnes ont déjà quitté le pays, plus de la moitié pour la Pologne. Installé dans ce pays, le sénateur socialiste représentant les Français établis hors de France, Jean-Yves Leconte, évoque auprès de Public Sénat leur accueil et la situation des ressortissants français expatriés en Ukraine.
Quelles sont les informations qui vous parviennent sur la progression des forces russes en Ukraine ?
« Il y a eu des frappes à l’ouest du pays, ce sont les premières depuis celles qui avaient accompagné le déclenchement de l’attaque le 24 février 2022. Face à la résistance des Ukrainiens, les Russes semblent avoir perdu tout sens commun. Le bombardement d’un hôpital pédiatrique à Marioupol a montré que les frappes n’étaient plus seulement destinées à détruire des infrastructures stratégiques. Nous avons basculé sur un mode opératoire qui vise à terroriser la population.
Pensez-vous, comme l’a dit le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, que l’Ukraine « gagnera » face au géant russe ?
Je pense qu’ils vont gagner. Ils en ont la volonté. Il y a une résistance acharnée des militaires et des civils ukrainiens, notamment à Kherson, dans le sud du pays. Il apparaît désormais que la colonne de 60 km de chars russes immobilisée au nord de Kiev a été largement attaquée. Les Ukrainiens se sont préparés pendant sept ans à ce qu’il est en train de se passer, sans imaginer, bien sûr, que les choses pouvaient aller aussi loin. Ils ont été plusieurs à me dire : ‘Je ne sais pas comment ça se finira pour nous, mais ce sera la fin de Poutine’. En revanche, ça n’est pas parce qu’ils sont déterminés que nous devons les laisser seuls. Car l’avenir de l’Union européenne dépendra de la capacité de l’Ukraine à résister à la Russie.
» Lire notre article – Guerre en Ukraine : qu’est-ce qu’un « crime de guerre » ?
Les 27 sont réunis en ce moment à Versailles, notamment pour examiner la demande expresse de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie d’adhérer à l’UE. Pensez-vous qu’il faille y répondre favorablement ?
Certains estiment que l’on ne peut pas passer outre l’étude des garanties et des obligations réclamées par l’UE en préalable de toute adhésion. Mais on ne peut pas ne pas tenir compte de ce qu’il est en train de se passer. Je trouverais logique d’accorder aux Ukrainiens le statut de candidat – les liens avec l’UE existent depuis longtemps – et de mettre en place un calendrier d’adhésion réaliste au vu de la situation. Mais d’ici là, on pourrait accorder aux Ukrainiens la citoyenneté européenne. Il s’agirait d’une mesure symbolique forte, d’un signal envoyé au reste du monde, et cela permettrait aussi d’ancrer les droits des réfugiés.
2 millions de réfugiés auraient déjà quitté l’Ukraine, l’ONU estime qu’ils pourraient être à terme plus de 4 millions. La plupart sont arrivés en Pologne, où ils seraient déjà plus de 1,2 million, toujours selon les chiffres de l’ONU. Pouvez-vous nous dire comment se passe leur accueil ?
On est sur un flux de plus de 150 000 personnes par jour. Le maire de Varsovie estime que plus de 10 % de la population de sa ville est actuellement composée d’arrivants nouveaux. Tout cela, bien sûr, pose des problèmes logistiques, de ravitaillements notamment, mais d’administration aussi. Comme on peut l’imaginer, le consulat ukrainien est complètement incapable de faire face aux demandes quotidiennes de 150 000 personnes ! Il faut noter que la mobilisation de la société civile polonaise est bien plus impressionnante que l’aide publique. L’accueil et l’hébergement se font d’abord par les particuliers, si bien que les 250 000 places d’hébergement mises à disposition des Ukrainiens n’ont pas toutes été prises, car beaucoup sont chez l’habitant. Pour l’instant, il est encore difficile de dire si la Pologne sera un pays d’accueil ou un simple territoire de transit avant une autre destination, voire un retour en Ukraine. Le parlement devrait toutefois voter dans la journée une loi qui va plus loin que la simple directive européenne d’accueil.
Quel est le profil de ces réfugiés ? On parle de femmes, d’enfants, de personnes âgées ? Tandis que les jeunes hommes seraient restés au pays.
Durant les premiers jours, on a surtout vu arriver des gens qui avaient les moyens de partir, parce qu’ils avaient des contacts, de la famille, un réseau en dehors de l’Ukraine. Désormais, on voit arriver à la frontière des personnes complètement démunies. Entre 5 et 8 % des réfugiés ne sont pas Ukrainiens. Pour beaucoup, il s’agit d’étudiants venus de pays francophones africains ou de pays indiens, car les échanges universitaires avec l’Ukraine sont nombreux, et il y a une certaine difficulté pour les pays émergents à rapatrier leurs ressortissants. Un point d’inquiétude concerne les enfants qui passent seuls la frontière, avec un risque de trafic. Une demande des autorités ukrainiennes a été faite pour que ces enfants seuls puissent rester en Pologne.
La France a déjà accueilli 7 500 personnes, sur 25 000 places spécialement dédiées à ces personnes. Pensez-vous qu’il faille en faire plus ?
25 000, c’est seulement un sixième de ce qui arrive chaque jour en Pologne ! Mais pour aller plus loin, il faudra aussi un sursaut de l’opinion. La société ne peut pas entièrement sous-traiter cette question aux pouvoirs publics. En France, je pense au revirement affiché par Robert Ménard sur cette question. J’espère que nous sommes dans un moment ou certains pays d’Europe vont sortir d’une démarche mortifère.
» Lire notre article - « Pour tout vous dire, j’ai honte d’avoir fait ces affiches » : le mea culpa de Robert Ménard sur les migrants
Que sait-on de la situation des ressortissants français en Ukraine ? Leur nombre est estimé à un millier. Vous vous étiez agacé notamment des consignes contradictoires de la diplomatie française à leur encontre.
Le gouvernement français a d’abord dit à ses ressortissants de ne pas quitter leur domicile, puis qu’ils pouvaient prendre les autoroutes du sud de Kiev car les Russes avaient déclaré qu’il n’y aurait pas de frappes dans cette direction. Beaucoup ont trouvé qu’il n’était pas correct de dire aux gens de ne pas bouger, et ensuite : partez si vous le pouvez !
Il est difficile d’estimer exactement le nombre de Français présents en Ukraine. Il y a un vrai sujet global sur le suivi des communautés françaises à l’étranger. Depuis 2018, les moyens des consulats ont tellement été réduits que les gens ne sont plus inscrits au registre consulaire. Les personnels n’ont plus les effectifs et le temps pour prendre contact avec les expatriés. Il y a un mois, environ 1 000 Français étaient inscrits au registre consulaire en Ukraine. Avec les départs, ce chiffre a baissé à 350, puis il est remonté quelques jours plus tard à 1 000, sans doute parce que de nouvelles familles, face aux évènements, se sont signalées.
Certains Français ont fui vers la Roumanie. Quelques-uns m’ont dit qu’ils n’envisageaient pas de partir. Mais compte tenu des derniers événements, ils ont pu changer d’avis. »