« C’est un chiffre terrifiant, effarant, mais pas étonnant ». Samuel Lejoyeux, président de l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) n’est pas résigné, mais le rapport publié jeudi par le Crif, qui pointe une augmentation de 1000 % du nombre d’actes antisémites en 2023, « correspond aux constats que l’UEJF fait sur le terrain ». En trois mois, depuis l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre et l’offensive militaire meurtrière de l’armée israélienne qui s’en est suivie sur Gaza, le nombre d’actes antisémites a égalé le cumul des trois années précédentes. La recrudescence des actes antisémites en France est souvent corrélée aux évolutions du conflit Israélo-palestinien. « Les Français juifs sont désignés comme coupables de ce qu’il se passe au Moyen-Orient », déplore Jonas Pardo, formateur à la lutte contre l’antisémitisme. Un amalgame, une essentialisation, « grave et dangereuse », abonde Samuel Lejoyeux. Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias constate lui aussi cette corrélation, et la résurgence d’un antisémitisme « profond, violent, complètement désinhibé ». « Sur place, le Hamas et le gouvernement israélien justifient certains de leurs actes par des mobiles religieux. Cela dresse les gens les uns contre les autres au nom des religions, y compris en France », regrette-t-il.
Des origines diverses
Mais les actes antisémites ne relèvent pas seulement du conflit au Moyen-Orient. Jonas Pardo parle d’un « effet activiste : les actes antisémites excitant les antisémites ». Ainsi, après chaque actualité où de l’antisémitisme a frappé ou été recensé, une vague d’actes antisémites a été constatée, d’après le formateur, qui cite « la tuerie à l’école Ozar Hatorah à Toulouse, l’affaire Dieudonné » en exemple. Statistiquement, cette « explosion » du nombre d’actes antisémites est bien déclenchée le 7 octobre, mais ses facteurs sont depuis divers, comme l’explique Samuel Lejoyeux, pointant d’abord « la permissivité à certains discours antisémites, notamment à l’extrême gauche, qui s’alignent sur la rhétorique du Hamas et banalisent les discours violents envers les juifs ». « Sous une prétendue défense de la Palestine s’exprime un antisémitisme à gauche, où il y a parfois un grand manque de discernement pour l’identifier », abonde Jonas Pardo. Samuel Lejoyeux cite également « des acteurs internationaux comme les relais de l’islamisme en France et la Russie ». Fin octobre, les Parisiens avaient par exemple découvert avec effroi des étoiles de David taguées sur plusieurs immeubles de la capitale et sa proche banlieue. Quatre personnes de nationalité moldave ont été interpellées, et les enquêteurs privilégieraient pour l’instant une ingérence russe. Jonas Pardo rappelle par ailleurs que l’antisémitisme s’est également exprimé lors de plusieurs événements récents qui n’ont rien à voir avec le conflit au Moyen-Orient, comme « lors des Gilets Jaunes, ou des manifestations antivaccins ». Surtout, l’antisémitisme d’extrême droite n’est pas mort. « Il n’y a qu’à voir l’attaque qu’a subie mon collègue de l’Assemblée Jérôme Guedj », explique Pierre Ouzoulias.
Le député socialiste de l’Essonne a en effet témoigné mercredi sur X (ex-Twitter) d’un courrier reçu à l’Assemblée nationale contenant une multitude de messages antisémites. C’est digne de la propagande vichyste sous l’occupation », s’indigne le sénateur communiste, pour qui le caractère d’extrême droite des messages reçus ne fait aucun doute.
Le rôle de la mémoire et des associations
Dans son rapport, le CRIF pointe que plus de la moitié des actes antisémites portent directement atteinte à des personnes (violences physiques, propos et gestes menaçants), ce qui montre, selon Samuel Lejoyeux, que « l’antisémitisme est très concret, et non théorique ». Comment, alors, lutter contre ce phénomène ? « Il ne faut rien laisser passer », martèle Pierre Ouzoulias, « et c’est l’affaire de tous les citoyens, car c’est au cœur de notre République : la liberté de conscience des individus », insiste l’élu. Pour le président de l’UEJF, l’enjeu n’est pas forcément judiciaire, notamment parce que « peu de victimes font la démarche de porter plainte », malgré « l’une des législations les plus sévères au monde ».
Au-delà de la sanction pénale, Samuel Lejoyeux insiste sur l’importance « des acteurs intermédiaires, du monde associatif » : « Il faut recréer des espaces de dialogue dans les villes, dans les quartiers, dans les écoles, un peu partout », insiste-t-il. Jonas Pardo prône lui aussi « les rencontres sportives et interculturelles », pour lutter contre les murs qui peuvent se dresser entre les citoyens français. L’éducation et l’enseignement sont également au cœur de l’enjeu de la lutte contre l’antisémitisme, alors que d’après le CRIF, 12,7 % des actes antisémites ont lieu à l’école. « Il y a un vrai travail de mémoire à faire auprès de notre jeunesse », insiste Pierre Ouzoulias, qui rappelle que « le judaïsme est constitutif de la culture française ». Si l’antisémitisme n’est pas contenu, puis refoulé, le risque d’une « résignation » des Français juifs est grand, selon Samuel Lejoyeux, ce qui se traduirait potentiellement par « une fuite, et un renfermement sur soi ». « Le pire serait que les Français de confession juive finissent par cacher leur judéité… Ce serait dramatique », s’inquiète Pierre Ouzoulias.