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À la SNCF, un accord atténue une partie de la réforme des retraites : un symbole pour la gauche, « une catastrophe » pour la droite

Les principaux syndicats de la SNCF et la direction du groupe ont signé un accord pour aménager les fins de carrière des cheminots et des contrôleurs. Il devrait notamment permettre de limiter l'impact du recul de l’âge légal de départ à la retraite, tel que prévu par la réforme de 2023. La gauche salue « une mesure de progrès ». À droite, Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, déplore le « mauvais signal » envoyé dans un contexte budgétaire complexe.
Romain David

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Les Français qui souhaitent profiter des jours fériés et des ponts du mois de mai pour s’évader pourront prendre le train l’esprit léger. La direction de la SNCF et les quatre principaux syndicats représentatifs de l’entreprise publique se sont entendus lundi 22 avril sur un dispositif de « cessation anticipée d’activité ». La signature de cet accord, qui offre la possibilité d’aménager les fins de carrière, vient ainsi dissiper les menaces de grève agitées par les partenaires sociaux à l’approche de plusieurs longs week-ends.

Dans le détail, les cheminots ayant occupé des postes pénibles pendant au moins 20 ans pourront, trente mois avant l’âge de départ à la retraite, diviser leur fin de carrière en deux temps : 15 mois travaillés rémunérés à 100 % et 15 mois non travaillés, rémunérés à 75 %. Pour les contrôleurs, la durée du dispositif a été rallongée à 36 mois, avec 18 mois non travaillés rémunérés à 75 %. L’accord, qui doit entrer en vigueur en janvier 2025, prévoit également une revalorisation de la rémunération des temps partiels en fin de carrière, ainsi que la création d’un nouvel échelon d’ancienneté pour les cheminots.

« Les avancées de cet accord permettront de compenser une partie du décalage de l’âge de départ à la retraite »

« L’objectif principal de cet accord est d’offrir la possibilité aux agents de la SNCF de choisir leur fin de carrière : soit de pouvoir partir au nouvel âge de départ à la retraite avec un niveau de pension amélioré, soit de pouvoir partir plus tôt à la retraite dans des conditions plus favorables notamment pour les métiers avec une pénibilité avérée », résume la direction de la SNCF dans un communiqué. Elle rappelle que le dernier accord en la matière datait de 2008. Depuis, « trois réformes des retraites sont entrées en vigueur et ont impacté l’âge de départ légal des salariés. De plus, le rapport au travail a récemment évolué, se traduisant notamment par une volonté d’un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et celle personnelle. »

Jean-Pierre Farandou, président du groupe SNCF a salué un « accord historique » dans une entreprise habituée aux conflits sociaux et aux bras de fer avec les syndicats. « Chaque salarié sera pleinement acteur de sa fin de carrière que chacun pourra déterminer selon sa situation personnelle. Je porte cette conviction chevillée au corps : pas d’économique sans le social et pas de social sans l’économique », fait valoir le dirigeant. Arrivé en décembre à la fin de son second mandat à la tête de la SNCF, Jean-Pierre Farandou pourrait théoriquement quitter la tête du groupe d’ici quelques semaines, à l’issue de la prochaine assemblée générale, puisqu’il a atteint la limite d’âge (68 ans).

« Dans les faits, les négociations améliorent tous les dispositifs existants, tant dans la durée que sur les critères de rémunération. Dans les faits, ces négociations apportent des droits nouveaux pour tous », se félicite la CGT cheminot, syndicat majoritaire. « Après la réforme Macron, il fallait réagir ! Les avancées de cet accord permettront de compenser une partie du décalage progressif de l’âge de départ et également d’augmenter légèrement le niveau de pension », salue Sud-Rail, dernier syndicat à avoir signé.

« C’est une forme d’euthanasie du travail »

« C’est un accord catastrophique ! », tempête auprès de Public Sénat Bruno Retailleau, le président des sénateurs LR, qui reproche à la direction de la SNCF d’effacer la réforme adoptée au forceps il y a tout juste un an « pour acheter la paix sociale ». « Cet accord insinue que l’on peut être payé sans travailler, c’est une forme d’euthanasie du travail. Surtout : signé dans une grande entreprise, sous contrôle de l’Etat, il présente un risque de contagion à d’autres organismes », alerte le Vendéen.

L’élu s’interroge aussi sur le poids que fait peser cette mesure sur le déficit de la SNCF, avec une éventuelle répercussion sur le prix des billets. « Cet accord tombe la semaine où la France risque une dégradation de sa note financière par plusieurs agences de notation. On envoie un très mauvais signal aux détenteurs de notre dette. Je demande deux choses : quel est le coût de cet accord ? Est-ce que le gouvernement l’approuve ? »

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« Est-ce que la situation financière de la SNCF peut lui permettre d’assumer un tel geste social ? »

Actuellement, l’âge légal de départ à la retraite à la SNCF s’échelonne entre 52 et 57 ans, selon le poste occupé. Le décalage de deux ans induit par la réforme de 2023 entrera progressivement en vigueur à partir de 2025 pour l’entreprise ferroviaire. À ce stade, aucun chiffre n’a été communiqué par la SNCF sur le coût du mécanisme de « cessation anticipée d’activité » retenu par la direction et les partenaires sociaux. Pour rappel, en 2018, l’Etat a accepté de reprendre une partie de la dette de l’entreprise publique, à hauteur de 35 milliards, mais en 2022 la SNCF restait endettée de 24,4 milliards d’euros.

Chaque année, l’Etat verse 3 milliards d’euros pour abonder la retraite des cheminots. Mais entre les différentes succursales du groupe, la part de l’Etat et celle des collectivités, il est difficile d’estimer les montants précis d’argent public injectés dans l’entreprise. Le site Fipeco, spécialisé dans les finances publiques, s’est prêté à l’exercice pour l’année 2022 sur la base du bilan annuel des transports publié par le ministère de l’Ecologie, du rapport financier de la SNCF et du projet de loi de règlement de budget pour l’année 2022, pour arriver à un coût total de 16,8 milliards d’euros pour le contribuable. Un calcul néanmoins contesté par la SNCF : « En rapprochant les coûts financés par la puissance publique pour le fonctionnement, l’investissement et la protection sociale, Fipeco ne fait qu’additionner des choux et des carottes », avait réagi la direction auprès du journal Les Echos.

« Avec cet accord la SNCF se félicite pour son sens du dialogue social. Pourtant, le calendrier, avec les ponts de mai et, à moyen terme, les Jeux olympiques et paralympiques, me laisse penser qu’il y a peut-être un lien de cause à effet », sourit le sénateur LR des Alpes-Maritimes Philippe Tabarot, en pointe sur le ferroviaire. « Je ne veux pas croire que cela n’a pas été fait sans l’accord du ministre des Transports. Je comprends mieux pourquoi il a beaucoup parlé de dialogue social ces derniers temps… Est-ce que pour autant cet accord nous garantit la fin des mouvements sociaux en série à la SNCF ? Je n’en suis pas sûr. Il reste encore trois mois avant les JO. »

Comme Bruno Retailleau, cet élu s’inquiète des répercussions de l’accord sur le budget du groupe. « Le gouvernement compte de plus en plus sur l’entreprise pour financer la régénération du réseau dans les années à venir. Est-ce que la situation financière de la SNCF peut lui permettre d’assumer un tel geste social ? », interroge Philippe Tabarot. « Par ailleurs, ce genre d’accord risque aussi d’accroître l’écart avec le privé et d’alimenter un sentiment d’inégalité. En quoi, par exemple, le travail d’un cheminot serait-il plus pénible que celui d’un ouvrier dans le bâtiment ? »

« Le débat sur les retraites n’est pas clos »

La sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly, qui a été au Palais du Luxembourg l’une des figures de proue de l’opposition à la réforme des retraites, applaudit l’action des syndicats qui ont su profiter des circonstances pour établir un rapport de force : « Il est évident qu’ils ont les moyens de bloquer le pays et que la SNCF veut à tout prix éviter une grève pendant les Jeux olympiques et paralympiques ».

Alors qu’une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites portée par les socialistes a été déclarée financièrement irrecevable par la commission des finances du Sénat le 10 avril, l’accord décroché par les partenaires sociaux apporte une forme d’espoir aux opposants. « Il montre que le combat n’est pas complètement perdu. Avec ça, je dirai même qu’il redémarre. Des choses peuvent être gagnées dans chaque corps de métier ! », assure la sénatrice. Quant au coût de la mesure, Cathy Apourceau-Poly balaye : « Ce qui a coûté le plus cher à la SNCF ces dernières années, c’est de refuser de s’asseoir à la table des négociations, avec des trains qui ne roulent pas pendant des semaines… »

« Les dispositifs de pré-retraite progressive ont un coût évident pour les finances publiques, mais ils apportent aux métiers les plus difficiles un certain confort de vie et un vrai bol d’air pour les salariés concernés », explique la sénatrice socialiste des Landes Monique Lubin, autre opposante à la réforme de 2023. « Cet accord est une mesure de progrès pour les salariés auxquels il va bénéficier. Mais ce type de mesure ne peut voir le jour que dans les entreprises qui en ont les moyens, car même si elle reste endettée, je rappelle que la SNCF a enregistré des bénéfices records en 2022 ». Bénéfices de 2,4 milliards d’euros, imputables notamment à la reprise du trafic ferroviaire après les restrictions liées à la pandémie de covid-19.

« L’accord entre la SNCF et les syndicats vient surtout rappeler que le débat sur les retraites n’est pas clos. Au contraire, il reste pleinement d’actualité », poursuit Monique Lubin. « La réforme de 2023 était une réforme budgétaire, durant laquelle on a essentiellement parlé d’économie et assez peu de travail. Or, il faut que l’on reparle de travail, d’abord pour mieux travailler, ce qui implique aussi d’aborder le sujet des fins de carrières ».

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